L’accord entre le géant américain et le premier opérateur de téléphonie mobile indien marque son entrée indirecte dans l’actionnariat d’Airtel Africa. Et ouvre la voie du développement de nouvelles offres d’accès aux smartphones, secteur dominé en Afrique par des acteurs chinois, toujours exposés aux risques de sanctions et d’un blocus technologique des États-Unis.
Dans un communiqué commun publié le 28 janvier, le groupe de télécoms indien Bharti Airtel (présent dans 14 pays africains) et le géant américain des télécoms Google ont annoncé un partenariat « pluriannuel et de long terme ». L’accord réalisé à travers le Fonds Google pour la digitalisation de l’Inde, doté de 10 milliards de dollars et lancé juillet 2020, concerne pour l’essentiel le grand marché du pays asiatique.
Dans le détail, il comprend un investissement de 700 millions de dollars pour acquérir 1,28 % de Bharti Airtel et une enveloppe pouvant atteindre 300 millions de dollars qui « iront à la mise en œuvre d’accords commerciaux ». Dirigé depuis 2015 par l’entrepreneur indo-américain Sundar Pichai, Google a lancé en octobre dernier un investissement de 1 milliard de dollars sur les marchés africains sur cinq ans « pour soutenir la transformation numérique du continent ».
Les smartphones, secteur à fort potentiel
Le premier volet de l’accord avec Airtel ne concerne qu’indirectement le continent, mais il marque l’entrée symbolique du colosse américain dans l’actionnariat d’un des leaders africains des télécoms. Bharti Airtel Limited détient en effet environ 67 % d’Airtel Africa Plc (dont 56 % directement), coté à Londres et qui rassemble les filiales du groupe télécoms dans quatorze pays africains, dont le Nigeria, la RDC, le Congo-Brazzaville, le Kenya et le Gabon. La firme américaine obtient une part indirecte de quelque 0,7 % d’Airtel Africa, selon nos calculs.
C’est le second volet du partenariat qui pourrait affecter plus directement les marchés africains. « Dans le cadre de ce premier accord commercial, Airtel et Google travailleront ensemble pour développer l’offre étendue d’Airtel qui couvre une gamme d’appareils Android pour les consommateurs via des programmes innovants d’accessibilité financière », soulignent les deux partenaires. « Ensemble, nos entreprises continueront à explorer d’autres opportunités pour réduire les obstacles à la possession d’un smartphone dans une gamme de prix, en partenariat avec divers fabricants d’appareils », complète le communiqué d’Airtel et de Google.
Dans une analyse « SWOT »(forces, faiblesses, possibilités et menaces) réalisée par le groupe indien, ce dernier identifie la « pénétration des smartphones », soit la part de marché grandissante et le nombre de futurs usagers de ces téléphones modernes, comme une de ses « opportunités ». Faciliter l’accès des abonnés aux smartphones est un double enjeu gagnant pour Airtel – et les opérateurs télécoms en général –, car cela permet de proposer des offres groupées, plus chères que le simple achat de recharges de crédit, mais aussi de vendre des offres et services digitaux (jeux, musique, vidéos…) disponibles seulement sur ces appareils.
Sur le continent, les téléphones traditionnels représentent encore 50 % du marché (données de 2020), selon l’Association mondiale des opérateurs télécoms (GSMA), qui anticipe que « le nombre de connexions par smartphone en Afrique subsaharienne va presque doubler pour atteindre 678 millions d’ici à la fin 2025, soit un taux d’adoption de 65 % ».
Autre signe de l’importance de ce segment pour Airtel, le groupe s’est alarmé l’an dernier dans un rapport de « l’annonce récente de smartphones à bas prix par l’un des concurrents » en Inde et avait indiqué « évaluer plusieurs options pour rester compétitif dans ce segment ». L’accord avec Google paraît une de ces options.
Pour l’heure, le marché africain des smartphones est dominé par des acteurs chinois, dont Transsion. Avec ses marques Tecno, Itel et Infinix, l’entreprise fournit 47,4 % des appareils de ce types vendus en Afrique, devant le Coréen Samsung (21,3 %). On retrouve ensuite ses compatriotes Xiaomi (6,1 %) et Oppo (marque du groupe BBK Electronics) ainsi que le finlandais HMD (qui commercialise la marque Nokia), selon les analystes d’International Data Corporation (IDC).
Les acteurs chinois des télécoms, aux premiers rangs desquels le colosse mondial Huawei, se sont retrouvés ces dernières années brusquement exposés aux revirements des politiques commerciales et sécuritaires américaines. Huawei ayant par exemple perdu l’accès à la technologie Android d’Alphabet (maison-mère de Google) et se retrouvant à devoir développer dans l’urgence ses propres systèmes et plateformes d’applications mobiles…
Une filiale à plus de 2,5 milliards de dollars
Avec 118,2 millions de clients fin 2020, le continent africain représente le deuxième marché d’Airtel après l’Inde (350,3 millions) et devant le Bangladesh (50,9 millions). Au cours des cinq dernières années, le parc d’usagers d’Airtel Africa a crû de + 47,6 % sur l’ensemble de la période, contre + 26 % en Inde. « Le secteur des télécommunications en Afrique continue d’avoir des perspectives positives avec l’augmentation du pouvoir d’achat, l’urbanisation rapide, la montée de la classe moyenne et la pénétration croissante des smartphones », note Airtel dans son rapport annuel.
Pour son exercice 2020 clos en mars 2021, Airtel Africa affichait un chiffre d’affaires annuel de 3,92 milliards de dollars (3,33 milliards d’euros), contre 3,44 milliards de dollars un an plus tôt, pour un bénéfice net de 339 millions de dollars, en recul par rapport aux 370 millions réalisés en 2019-2020. Le groupe se félicite toutefois d’une progression de son excédent brut d’exploitation (Ebitda) qui a crû de 24 %, pour une marge Ebitda de 46,1 %, en progression de près de deux points sur cette période.
Ces dernières années, Airtel Africa a multiplié les partenariats. En mars 2021, l’opérateur a signé un accord avec le fonds d’investissement The Rise Fund de l’américain TPG et avec le spécialiste des solutions de paiement Mastercard, qui ont investi respectivement 200 millions de dollars et 100 millions de dollars dans sa filiale de paiement mobile. « Ces transactions valorisent les activités de mobile money d’Airtel Africa à 2,65 milliards de dollars sur la base d’un endettement financier net à zéro », indique l’opérateur télécoms.
Outre la téléphonie, les données mobiles (data) et les offres de divertissements, le groupe indien, qui revendique « le premier ou le deuxième rang dans 12 de nos 14 marchés africains », entend accélérer sur le développement de nombre d’autres services. Dont : « le haut débit domestique, la télévision satellitaire, la connectivité d’entreprise, les centres de données, la sécurité, le cloud, la vidéoconférence, l’AdTech [technologies publicitaires numériques] ».
Source: Jeune Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée