La mise en détention du principal allié politique du président Tshisekedi ouvre une séquence où plusieurs têtes pourraient tomber pour corruption.
Et maintenant ? Vital Kamerhe, qui était jusque-là le tout-puissant directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, est au cœur d’une affaire tentaculaire de détournements présumés de fonds publics et séjourne à la prison centrale de Makala depuis le mercredi 8 avril. L’arrestation de ce haut fonctionnaire, ancien président de l’Assemblée nationale, directeur de campagne de Joseph Kabila en 2006 et allié clé de l’actuel chef de l’État, défraye la chronique en République démocratique du Congo et suscite diverses interprétations, car l’enjeu politique est aussi capital que le volet judiciaire.
Un séisme politique, source de folles rumeurs
En tout cas, dans les rues de Kinshasa, les points de vue divergent : pour les uns, en effet, Félix Tshisekedi s’est débarrassé d’un potentiel concurrent aux prochaines élections. « Quand on est pressé, on finit par tout rater. Monsieur Kamerhe pensait déjà aux scrutins de 2023 et n’a cessé d’attribuer ses ambitions à ses sympathisants au point de frustrer la base de l’UDPS, parti du président Tshisekedi », commente Luc Yaba, chercheur en droit à l’université de Kinshasa. D’autres y voient par contre des manœuvres de l’ex-président Joseph Kabila, en vue de baliser la voie de son retour aux affaires en 2023. Cette dernière théorie prend de plus en plus d’ampleur, et pour cause : Jeannine Mabunda Lioko Mudiayi et Alexis Thambwe Mwamba, respectivement présidente de l’Assemblée nationale et président du Sénat, ont convoqué un congrès pour en principe valider l’état d’urgence sanitaire décrété par le chef de l’État. En effet, précise Alexis Thambwe, « la RDC est en état d’urgence de fait et non de droit [parce que] la procédure n’a pas été respectée conformément à l’article 166 de la Constitution ». Les sénateurs et députés vont pouvoir proposer le prolongement de l’état d’urgence pour 15 jours alors que le pays compte 215 cas déclarés depuis le 10 mars, pour 20 décès.
Un Congrès prétexte ?
Mais, pour beaucoup, ce rendez-vous serait un prétexte. Il y aurait un agenda caché qui viserait à mettre en accusation le président Félix Tshisekedi pour haute trahison, et pour les rumeurs les plus folles, le faire destituer au regard des prescrits de l’article 165 alinéa 2 de la Constitution du pays. C’est l’une des pistes que soutient Noël Tshiani, candidat malheureux à la dernière présidentielle, qui demande à Félix Tshisekedi de dissoudre immédiatement le Parlement si « les présidents de deux chambres ne communiquent pas l’ordre du jour et les matières à traiter lors de leur prochain congrès très suspect. Réunir 800 personnes en pleine pandémie Covid-19 ! » Du côté du camp Kabila, la prudence est de mise. Dans son récent point de presse, le porte-parole de la majorité présidentielle et communicateur du FCC, Alain-André Atundu, interrogé sur cette affaire, a laissé entendre que « la coalition FCC-CACH n’est pas un syndicat du crime pour se protéger mutuellement contre les méfaits de chacun ».
Kamerhe comme un président bis
En dépit de son titre de directeur de cabinet, Vital Kamerhe est bien plus qu’un simple collaborateur du chef de l’État. Parfois qualifié de « président bis », il s’était désisté en faveur de Félix Tshisekedi avant l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, qui a marqué la première alternance pacifique dans l’histoire du Congo. Les deux hommes ont scellé un accord politique pour constituer leur plateforme Cap pour le changement (Cach), qui gouverne la RDC en coalition avec les forces politiques de l’ex-président Joseph Kabila, toujours majoritaires au Parlement.
Dès les premiers mois, sans tarder, Vital Kamerhe va se mettre au travail. Au cœur de son agenda : un programme d’urgence pour marquer les 100 premiers jours au pouvoir de Félix Tshisekedi, piloté par un comité de pilotage. Au départ, il s’agissait d’allouer une enveloppe de 300 millions de dollars pour construire ou réparer des routes, des maisons ou des ponts. Un an après, aucun « saut-de-mouton » (nom donné par les Congolais pour désigner ces ponts routiers, NDLR) n’a été inauguré à Kinshasa. Ces ponts par-dessus la chaussée, mis en chantier pour aérer le trafic automobile, sont même la vitrine des retards et des ratés du programme des « 100 jours », sur fond de détournements de fonds présumés.
À cause des travaux, la circulation est même pire qu’avant aux grands carrefours. Les automobilistes sont piégés dans des goulets d’étranglement à l’approche des palissades bleues occupant les deux tiers de la chaussée. C’est le cas sur la route de l’aéroport international de Ndjili, encombrée par trois chantiers de « sauts-de-mouton », dont certains ont à peine commencé. Après une descente sur le terrain à la mi-février, le chef de l’État a demandé une information judiciaire.
En conseil des ministres le 20 février, le ministre de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, a souhaité que cette enquête marque « le début du renouveau » de la justice en RDC, « pour un véritable État de droit ». Le président Tshisekedi a fait de la lutte anticorruption une priorité, à la demande pressante des bailleurs de fonds de la RDC, les États-Unis et le FMI en tête.
Des millions introuvables, la machine anticorruption se met en branle
Les volontés anticorruption du chef de l’État n’ont pas que des soutiens au sein même de la présidence de la République et son cabinet pléthorique de plus de 100 conseillers. En tout cas, l’enquête a tout de même mené à son propre directeur de cabinet chargé de l’attribution des marchés publics. Son nom avait déjà été cité par l’Inspection des finances en septembre dans l’affaire dite des 15 millions de dollars, qui auraient disparu des caisses du Trésor public. Le chef de l’État avait confirmé l’ouverture d’une enquête judiciaire. Une enquête dont plus personne n’a entendu parler depuis. En septembre, le dossier revient sur la table lorsque le nouveau ministre des Finances José Sele (venu du camp pro-Kabila) a demandé des « audits » sur le financement du programme des 100 jours et des « sauts-de-mouton ».
Les mois passant et la situation socio-économique de la population se dégradant, Félix Tshisekedi est de plus en plus interpellé aussi bien en interne par son propre parti l’UDPS qu’en externe par ses alliés américains, qui lui reprochent le non-respect des engagements pris en matière de lutte contre la corruption. « Vital Kamerhe contrôle d’une main de fer et accorde des marchés de gré à gré à des sociétés mafieuses à peine créées pour les besoins de la cause, donne ordre au gouverneur de la Banque centrale pour des paiements en procédure d’urgence à des entreprises sulfureuses et des surfacturations », explique Charles Manda, un membre de la société civile. À l’en croire, ce programme des 100 jours est un échec complet, alors que « des dizaines, voire des centaines des millions de dollars sont sortis du Trésor public. Pendant ce temps, Vital Kamerhe mène un grand train de vie et la population se désole de voir que la lutte contre la corruption prônée par Félix Tshisekedi n’est qu’une utopie », ajoute-t-il. À peine nommé directeur de cabinet, Vital Kamerhe convolait en secondes noces avec l’Indo-Congolaise Amida Shatur. Un mariage fastueux sur plusieurs jours et une dot élevée dont la somme a été tue, qui ont suscité là aussi de nombreux commentaires.
Un banquier, deux chefs d’entreprise et un responsable d’une entreprise publique ont déjà été placés en détention provisoire dans cette enquête sur le financement du programme dit des « cent jours » du chef de l’État. Certains ont été depuis remis en liberté. En attendant une confrontation avec les coaccusés et un éventuel procès, le puissant et intouchable directeur de cabinet, lui, croupit en prison, certainement en repensant à son long parcours politique.
Vital Kamerhe, un parcours sinueux
En effet, pour Vital Kamerhe, parfois surnommé le « Faiseur de rois », tout a commencé dans les années 1990, lorsque, jeune cadre zaïrois, né à Bukavu dans le Sud-Kivu en 1959, il entame avec beaucoup de succès sa carrière politique en exerçant plusieurs fonctions dans les cabinets ministériels : Mines, Enseignement supérieur. Excellent tribun, Vital Kamerhe s’est exercé sur les bancs de l’université de Kinshasa, où il a adhéré aux jeunesses du MPR, le parti unique de Mobutu, avant d’adhérer à l’UDPS d’Étienne Tshisekedi. On le retrouve même à la Conférence nationale en 1991 et 1992 au titre de président de la jeunesse de l’Usoral (Union sacrée de l’opposition radicale). Polyglotte, maîtrisant les quatre langues nationales du Congo : le kikongo, le lingala, le swahili et le tshiluba, en plus de certaines langues étrangères, notamment le français et l’anglais. Il enchaîne alors les postes suivant le rythme effréné des instabilités de cette époque.
Quand arrive sur la scène militaro-politique l’AFDL, mouvement rebelle conduit par Laurent-Désiré Kabila, père de Joseph Kabila, à l’issue de la première guerre du Congo en 1997, tout change pour Vital Kamerhe, qui se fait remarquer d’abord en tant qu’« expert économiste » puis au cœur des négociations pour les futurs accords de paix de Lusaka, en juillet 1999. Jusqu’à la mort du Mzee, en 2001, Vital Kamerhe, père de neuf enfants, dont huit avec sa première épouse, Mamick Boji, aura été de tous les sommets, de tous les accords politiques majeurs de la RDC, et un interlocuteur clé face aux instances internationales, comme la Monuc, la mission locale de l’ONU.
Après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, qui fut remplacé par son fils Joseph Kabila lors d’un conseil de gouvernement, Vital Kamerhe se voit intégrer le cercle restreint. Les deux hommes se sont rencontrés en août 1998 lors du déclenchement de la deuxième guerre du Congo, au moment du siège de l’aéroport international de N’Djili. Âgé de 26 ans, Kabila était encore à la tête de la troupe des Kadogos, ces enfants-soldats à la solde du Mzee. Nommé commissaire général chargé du processus de paix, Kamerhe est sur tous les fronts, même si la guerre s’enlise, notamment à l’est très stratégique de la RDC. En 2006 arrivent les premières élections démocratiques, Kamerhe, qui a eu deux ans pour réformer avec succès le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti présidentiel, est le directeur de campagne de Kabila. Cette élection est contestée et largement entachée par des violences.
Entre-temps, Vital Kamerhe a parcouru le pays, s’est fait une sacrée réputation dans le monde entier, on le compare à Nicolas Sarkozy, parce que, bien qu’il pense depuis toujours au poste suprême, il ne le dit jamais publiquement. Même quand Kabila et surtout ses proches conseillers tentent de le mettre au « placard », l’homme s’en sort toujours. À l’Assemblée nationale, dont il prend la présidence en 2007, il brille par son éloquence, ses prises de position de plus en plus tranchées avec son allié. En réalité, Vital Kamerhe veut s’émanciper. En 2009, contre toute attente, il est contraint de démissionner de son poste après que le président Joseph Kabila a autorisé le retour des troupes rwandaises au Kivu.
La rupture d’avec Joseph Kabila
Le divorce étant consommé, il crée enfin sa propre formation politique, l’UNC (Union pour la nation congolaise), et bascule dans l’opposition. Mais l’homme peine à prouver à ses pairs de l’opposition que sa rupture avec Kabila est totale. D’ailleurs, il a toujours de grandes difficultés à faire oublier son passage au PPRD et surtout son rôle dans l’élection que jugent frauduleuse les opposants. Ce n’est finalement que quelques mois avant les élections de décembre 2018, où les voix se sont levées pour demander à l’ensemble de l’opposition d’unir leurs forces pour faire face à la grande machine mise en place par le camp Kabila, que Vital Kamerhe joue sa dernière carte. Réunis à Genève pour élire le candidat unique de l’opposition, les leaders de l’opposition ont porté leur dévolu, à la surprise générale, sur l’outsider, Martin Fayulu. Quelques heures après, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe vont retirer leurs signatures de cet accord sur demande de leurs bases respectives. Les deux nouveaux partenaires se retrouvent donc dans la capitale kenyane pour conclure un deal de gouvernance, dit accord de « Nairobi », donnant naissance à la coalition Cach (Cap pour le changement), à l’issue duquel Vital Kamerhe se désiste en faveur de Félix Tshisekedi. Cet accord qui prévoyait que Kamerhe occupe le poste de Premier ministre, fonction à laquelle l’homme a renoncé pour occuper le très stratégique cabinet de la présidence après avoir conclu un autre accord en parallèle pour la cohabitation avec Kabila. Dans tous les cas, le texte prévoit que Vital Kamerhe sera candidat à la présidence de la République en 2023.
Les agendas politiques désormais revisités
La chute de Vital Kamerhe, pilier de la coalition Cach, va sans doute modifier les agendas politiques des uns et des autres. Mais pourrait aussi servir de cas d’école pour l’appareil judiciaire congolais, qui n’a de cesse, ces dernières années, d’afficher une volonté ferme de retrouver ses lettres de noblesse. Aux dernières nouvelles, le tribunal de Kinshasa Matete a refusé la remise en liberté provisoire sollicitée par les avocats de Vital Kamerhe, et ce dernier devra passer encore 15 jours à la tristement célèbre prison centrale de Makala, le temps pour les instructeurs de poursuivre leurs investigations.
Source: Le Point Afrique /Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée