La méthode française qui consiste à réduire le nombre de visas accordés aux Algériens, Marocains et Tunisiens pour mettre la pression sur leurs gouvernements, jugés peu coopératifs sur la réadmission des Maghrébins expulsés de France, divise les observateurs. Certes, elle est « efficace » mais certains experts la qualifient de « biaisée ».
La méthode est critiquée au Maghreb. La France a récemment annoncé la réduction du nombre de visas accordés aux Algériens, Marocains et Tunisiens pour mettre la pression sur leurs gouvernements, jugés peu coopératifs sur la réadmission des Maghrébins expulsés de France. Si la méthode « fonctionne » selon Paris, plusieurs experts la qualifient de « biaisée ». « Il y a eu un dialogue, ensuite il y a eu des menaces. Aujourd’hui on met cette menace à exécution », tonnait la semaine dernière le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal dans une émission de radio matinale.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur communiqués à l’AFP, l’Algérie a délivré 31 laissez-passer consulaires entre janvier et juillet 2021 pour 7 731 obligations de quitter la France (OQTF) prononcées, et 22 expulsions réalisées, soit un taux d’exécution de 0,2 %. Ce taux est de 2,4 % pour les OQTF concernant les ressortissants marocains, et de 4 % pour les Tunisiens.
Un bras de fer « classique »
Relier la quantité de visas délivrés par la France au nombre de laissez-passer consulaires émis par les pays du Maghreb – nécessaires à la réadmission de leurs ressortissants – est « une mesure tout à fait classique, qui se fait depuis des décennies », décrypte une source diplomatique proche du dossier. « Nous répondons à une non-réponse », après « des mois de discussions » stériles.
« C’est très mal accueilli » de l’autre côté de la Méditerranée, reconnaît la source diplomatique, « mais ça crée un rapport de force ». « On sait que ça fonctionne, sinon on ne le ferait pas. »
D’après le ministère de l’Intérieur français, des pressions similaires, qui n’avaient pas été rendues publiques, ont été mises en œuvre dès 2018. Elles s’étaient traduites par « une nette augmentation du nombre de laissez-passer consulaires délivrés ».
Une menace « efficace »
Les expulsions avaient alors connu une « progression significative » : + 65 % à destination de l’Algérie en 2019 par rapport à 2017, + 57 % vers le Maroc et + 61 % vers la Tunisie sur la même période, observe-t-on au ministère.
L’arme des visas a donc été « efficace avant la pandémie », et elle montre déjà des résultats avec la Tunisie, avec qui « la coopération s’améliore » dernièrement, selon cette source.
Paris a ainsi confirmé une baisse à venir de 50 % du nombre de visas délivrés pour les Marocains et Algériens et de 33 % seulement pour les Tunisiens, leur gouvernement ayant « manifesté plus de gestes de bonne volonté », estime la source sécuritaire.
Alger, dont les relations avec Paris sont tumultueuses, a déploré une décision intervenue « sans consultation préalable », qui « comporte l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un tapage médiatique », avant de convoquer l’ambassadeur de France en Algérie.
Une décision de Paris « injustifiée »
Le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita a, lui, qualifié la décision de Paris d' »injustifiée », le Maroc gérant la question migratoire » avec « une logique de responsabilité et d’équilibre entre la facilitation des déplacements des personnes (…) et la lutte contre la migration clandestine ».
L’approche de la France est « biaisée » du fait de la pandémie de Covid-19, estime Matthieu Tardis, chercheur à l’Institut français des relations internationales.
« On a continué à délivrer des OQTF alors qu’on savait qu’elles ne seraient pas exécutées à cause du Covid-19 », observe-t-il, « l’Algérie ayant rouvert ses frontières très récemment », cet été.
« On punit une partie de la population qui n’est pas concernée par les migrations », regrette aussi Matthieu Tardis, souvent, les étudiants, commerçants ou touristes, dans des proportions démesurées par rapport au nombre d’expulsés.
Entre janvier et juillet 2021, la France a accédé à 8 726 des 11 815 dépôts de visas venant d’Algérie (18 579 sur 24 191 pour le Maroc, 9 140 sur 12 921 pour la Tunisie), un chiffre très en-deçà des requêtes pré-Covid. En 2019, Paris recensait plus d’un million de demandes de visas depuis ces trois pays.
Cette même année, Algérie, Tunisie et Maroc avaient instruit moins de 4 300 demandes de laissez-passer consulaires, pour 32 000 mesures d’éloignement prononcées par la France.
Des reconductions onéreuses
Les personnes concernées sont des « islamistes radicaux », « des délinquants » ou des personnes qui « doivent partir tout simplement du territoire national », a affirmé mercredi le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
« Ce sont plutôt des sans-papiers », nuance Catherine Wihtol de Wenden, chercheuse au CNRS, pour qui la solution à ce problème est « d’avoir moins d’OQTF ».
Car les reconductions « coûtent très cher » (entre « 3 et 5 000 euros » par individu, qui doit être accompagné de deux policiers), énumère-t-elle. Elles aboutissent à des « bavures », car les expulsés « résistent », ce qui fait qu’on les « attache », parfois qu’on les « scotche » dans les avions, poursuit-elle.
« Il faudrait qu’on prononce moins d’OQTF, mais qu’on les applique vraiment pour ceux représentant un danger public », note cette spécialiste du phénomène migratoire. « Vouloir expulser des personnes qui travaillent, qui ont créé des familles, n’a aucun sens. »
La limitation du nombre de visas a été annoncée durant la pré-campagne électorale française, qui a déjà vu l’immigration devenir un thème phare. « La reconduction, c’est la théâtralisation de la politique », tranche-t-elle.
Source: France 24 Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée