Il aura fallu obtenir le blanc-seing de Patrice Talon, une loi d’amnistie de décrispation pour conjurer la guillotine judiciaire au-dessus de sa tête et la compagnie d’une task-force politique de la CEDEAO pour le retour d’«exil» de Thomas Boni Yayi. L’ancien président béninois rentre au bercail ce mercredi 20 novembre à Cotonou, d’où il était parti en juin dernier, quelque peu forcé à quitter le pays. Provisoire ou définitif, son retour est en tout cas une aubaine politique pour lui et son prédécesseur.
Parti du Bénin pour «raisons médicales», Thomas Boni Yayi y revient principalement pour des raisons politiques. Attendu ce mercredi 20 novembre à Cotonou en fin d’après-midi, l’ancien président béninois (2006-2016) va fouler à nouveau le sol de son pays, cinq mois après l’avoir quitté dans un contexte politique particulièrement délétère. Alors pour son retour, l’ancien chef d’Etat a voulu marquer le coup.
Une forte délégation de «gardes du corps» de la CEDEAO
Dans les longues négociations pour la décrispation d’un climat politique grisant depuis les législatives d’avril 2019, le président d’honneur des Forces Cauris pour un Bénin émergent (FCBE) avait exigé, outre le renforcement de sa sécurité personnelle, de se faire accompagner par un ancien président et une forte délégation de la CEDEAO. Dans l’avion qui va le ramener à Cotonou, l’ancien président béninois devrait avoir comme voisins de siège, à défaut d’Olesegun Obasanjo, l’ancien président nigérian Abdulsalami Abubakar (1998-1999), de l’Ivoirien Jean-Claude Brou, le président de la commission de la CEDEAO et d’autres diplomates accrédités par des capitales ouest-africaines. Ce seront un peu les «gardes du corps» de l’ancien président.
Principal enjeu de ce retour au pays, la rencontre entre Thomas Boni Yayi et son successeur Patrice Talon au Palais de la Marina. Dès son atterrissage à Cotonou, l’actuel chef de l’Etat devrait recevoir son prédécesseur. Ce sera la première entrevue officielle entre les deux hommes depuis la crise politique née du rejet du Code électoral, qui s’est exacerbée avec l’organisation de législatives sans la participation de l’opposition. Cinq mois plus tôt, le « reclus de Cadjéhoun»quittait Cotonou presque en catimini, évoquant la dégradation de son état de santé, au moment même où il devait être auditionné par un juge sur les violences post-électorales.
En marge du sommet de l’UA à Niamey en juillet déjà, sous l’égide de Mahamadou Issoufou du Niger, une rencontre entre Patrice Talon et Boni Yayi, en exil à Lomé, était à l’ordre du jour mais n’a pu se faire sous l’effet d’une multiplication d’exigences. La rencontre de ce mercredi 20 novembre pourrait être la bonne, même si à la présidence on se garde de confirmer le timing et les sujets à aborder. Entre temps, des efforts de médiation sous-régionale ont préparé le terrain du retour de Thomas Boni Yayi avec le vote le 31 octobre dernier, d’une loi d’«amnistie des faits criminels» commis dans le cadre des violences post-électorales. Amnistie obtenue après la tenue rapide d’un dialogue politique qui avait conduit à la désescalade politique.
Une occasion pour Patrice Talon de mettre de l’eau dans son Sodabi
Par ailleurs, la durée du séjour de Thomas Boni Yayi en terre béninoise est aussi un des grands enjeux de ce retour d’«exil». Entretenant le clair-obscur, l’entourage du président d’honneur des FCBE a fait prospérer l’idée que leur mentor n’effectue qu’un retour provisoire pour jouer sa partition dans le règlement de la crise politique au Bénin. Toujours selon son entourage, l’ancien président devrait encore quitter son pays dans le but de préparer son grand retour, le vrai.
A l’analyse, si avec son retour – celui de certains exilés politiques- Boni Yayi sauve la face, Patrice Talon se voit offrir une occasion de mettre de l’eau dans le Sodabi (boisson béninoise). La baisse de la tension politique qu’il n’a pu obtenir par la tenue d’un dialogue politique à demi-boycotté, le locataire du Palais de la Marina tente de l’obtenir avec cette loi d’amnistie votée à la hâte. Comme point d’orgue d’une stratégie pour redorer son image écornée, le blanc-seing pour le retour de son prédécesseur passe pour un nouveau succès politique. Le goût de la confrontation sans doute, face aux mises en garde dans son projet de mise sous coupe des institutions Patrice Talon est resté placide, donnant l’impression de gouverner avec une poigne d’acier dissimulé dans un gant de soie. L’élève a peut-être surpassé le maître en matière d’art politique.
En véritable animal politique, Boni Yayi s’est sorti de la bunkerisation forcée de sa résidence de Cadjéhoun d’où il n’avait que très peu de marge de manœuvre pour incarner le symbole qu’il devait être pour l’opposition. L’on ne saura jamais avec précision si l’ancien président a quitté le Bénin par détresse sanitaire ou subterfuge politique pour fuir un climat politique délétère? En tout cas, depuis son lieu d’exil, il a pu plaider sa cause auprès des pairs de Patrice Talon et établir des contacts pour booster sa lutte dans l’opposition. Cette liberté retrouvée est peut-être la raison de la tergiversation dans son camp sur un retour provisoire ou définitif.
Source: La Tribune Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée