Créée en 2002, l’Union africaine (UA) a pour ambition de réactualiser et de consolider un système de sécurité collective continentale hérité de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), tout en prenant en compte les évolutions des organisations régionales. Face à des menaces sécuritaires transnationales – criminalité, djihadisme ou piraterie –, les dirigeants africains ont aussi fait le choix de recourir à des coalitions ad hoc (comme le G5 Sahel ou la Force multinationale mixte, FMM pour lutter contre Boko Haram). Si ces stratégies politiques, censées contourner les contraintes institutionnelles, visent à favoriser la flexibilité, la multiplication des cadres de coopération fragilise la relation entre l’UA et les Communautés économiques régionales (CERs) et complexifie le paysage sécuritaire africain.
Un bref rappel historique du régionalisme africain
L’évolution de la coopération entre l’OUA (1963-2001), puis l’UA, et les Communautés économiques régionales est marquée par cinq étapes. Celles-ci permettent de mieux comprendre la spécificité du régionalisme africain, à savoir une sécurité collective à deux niveaux (continental et régional).
Bien avant les indépendances, la coopération et l’intégration régionales sont reconnues comme indispensables à toute stratégie de développement des pays africains. Lorsque l’OUA est créée en 1963, les regroupements économiques sont déjà nombreux. Selon un rapport d’experts, il existe plus de 200 organisations intergouvernementales en Afrique.
En 1976, le premier jalon de la coopération entre les organisations continentales et régionales est posé par l’OUA avec la division du continent en cinq régions.
Ce découpage institutionnel instaure un système de rotation entre les régions pour désigner les États africains siégeant au Conseil de sécurité des Nations unies. Il sert aussi de référence pour choisir les quinze membres du Conseil de paix et de sécurité (CPS) et les cinq personnalités du Groupe des sages – deux composantes de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, plus connue sous l’acronyme anglais Apsa, où chaque région est représentée.
Le plan d’action de Lagos et de l’acte final de Lagos (1980) ont notamment pour objectif de limiter le chevauchement institutionnel, la dispersion des ressources et les querelles de légitimité entre les institutions régionales. Ce processus de rationalisation n’aboutira pas. Afin de relancer l’unité du continent, les chefs d’État signent le traité d’Abuja (1991) qui inaugure la Communauté économique africaine (CEA), inspirée du modèle européen.
L’intégration régionale du continent repose sur la coordination, l’harmonisation et l’intégration progressive entre les CERs, entités nouvellement créées pour servir de piliers à la CEA. Ce statut est accordé à 14 organisations régionales et sous-régionales existantes qui restent indépendantes et régies par des textes spécifiques. Si leur nombre, depuis 2006, est limité à huit, leur insertion dans le dispositif continental n’en reste pas moins compliquée.
Trouver le juste équilibre entre des réalités régionales et une ambition continentale
Les conflits au Liberia (1989), en Somalie (1990) et au Rwanda(1993) sont une première mise à l’épreuve pour les États africains. Confrontées à une intensification des conflits et aux risques de propagation aux États frontaliers, les CERs, telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), sont en première ligne pour pallier les défaillances de l’OUA. En allant au-delà du cadre initialement fixé, à savoir favoriser l’intégration économique régionale, les CERs élargissent leur mandat aux questions sécuritaires et s’autonomisent. Étant donné leur rôle dans la gestion des conflits dans les années 1990, l’UA reconnaît une place privilégiée à l’échelon régional dans son nouveau dispositif continental, l’Apsa.
L’Apsa, en tant que système de sécurité collective, se compose :
- du Conseil de paix et sécurité (CPS), organe politique créé sur le modèle du Conseil de sécurité des Nations unies qui se réunit au moins tous les mois ;
- d’une Force africaine en attente (FAA) qui se décline en cinq forces régionales prépositionnées ;
- du système continental d’alerte précoce chargé de la collecte et de l’analyse des données ;
- d’un Groupe des sages doté d’un rôle en matière de prévention et médiation ;
- d’un comité d’état-major qui conseille le CPS sur les questions militaires ;
- et d’un Fonds pour la paix.
Dispositif inédit en Afrique, l’Apsa a semble-t-il été victime de sa notoriété. En raison des espoirs sans doute démesurés qu’elle a suscités, elle fait l’objet d’un soutien inégalé de la part de nombreux partenaires techniques et financiers. L’Union européenne, parmi ses principaux bailleurs, a versé près de 2,7 milliards d’euros depuis la création de la Facilité pour la paix en Afrique en 2004.
Même si des progrès considérables ont été réalisés dans son opérationnalisation – recrutement de personnels, achat de matériels, réforme des procédures administratives et financières –, la feuille de route de l’Apsa (2016-2020) rappelle que le manque de coordination entre l’UA et les Communautés économiques régionales nuit à l’efficacité de l’ensemble du dispositif en matière de prévention et gestion des conflits.
La relation UA/organismes régionaux : entre coopération et compétition
Trois facteurs permettent de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la relation UA/CERs, censée reposer sur une coopération, donne parfois lieu à une compétition.
Tout d’abord, la relation UA(OUA)/CER est d’autant plus difficile qu’elle est régie par une multitude de textes, du plan de Lagos au protocole d’accord de coopération signé en 2008. Aucun d’entre eux ne propose une définition claire des principes (subsidiarité, avantage comparatif, complémentarité) censés régir la nature de la coopération. En pratique, leur interprétation varie même selon les parties concernées.
La coopération se heurte à un deuxième obstacle lié au mimétisme institutionnel entre les structures politiques, militaires et diplomatiques. En effet, chacune des CERs dispose d’un organe politique, équivalent du CPS de l’UA. Par exemple, l’Organe de la troïka au niveau des chefs d’État, chargé de la coopération en matière de politique, de défense et de sécurité (SADC) ; le Conseil de médiation et de sécurité (Cedeao) ; ou le Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale (CEEAC). Si elles existent, les coopérations sont sporadiques, sachant que la tendance est plutôt au chevauchement des compétences et des activités.
La coordination est confrontée à une troisième difficulté : la mise en concurrence entre les dispositifs sécuritaires. Ainsi, trois acteurs ont cherché à se positionner avec des mécanismes différents pour résoudre la crise au Sahel : la Force en attente de la Cedeao (FAC), la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric) de l’UA et la force conjointe du G5 Sahel.
Le choix de placer en première en ligne l’UA, une organisation régionale ou une coalition adaptée apparaît finalement moins comme le résultat d’une stratégie claire que comme le reflet de l’opportunisme de certains États qui veulent jouer leur carte au plan régional et/ou continental.
Remplir le vide opérationnel par des coopérations ad hoc
Bien qu’engagés dans le cadre de la FAC, le Burkina Faso, le Niger et le Mali privilégient le G5 Sahel comme cadre de coopération militaire. Étant donné les moyens que requiert la gestion des conflits africains, le recours aux coalitions ad hoc contribue à créer une surenchère humaine (recrutement et financement de postes par les partenaires techniques et financiers) logistique (achat de matériels), politique (recherche de visibilité) et financières, qui alimente la compétition entre les États et les institutions.
Le recours aux coalitions ad hoc a également relancé la pratique du Forum shopping – une pratique qui consiste pour les acteurs étatiques à choisir l’institution qui sert le mieux leur agenda politique et qui affecte le moins leurs intérêts. Ce qui illustre une conception du régionalisme sécuritaire qui repose sur une appréciation en termes de coûts-avantages par les États. Malgré leurs faibles capacités et leur léthargie, certaines organisations, à l’image de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), ont bénéficié d’une impulsion politique suffisante pour servir de cadre au déploiement d’une opération militaire, en l’occurrence la FMM. Loin d’être considérés comme de simples « coquilles vides », les regroupements régionaux sont autant d’outils parmi lesquels les États choisissent le meilleur levier à activer.
Même si le cadre de coopération varie, toutes les initiatives africaines ont finalement un point commun. L’enjeu est de trouver un compromis entre une réponse nationale, inefficace si elle se cantonne aux frontières d’un État, et des solutions régionales ou continentales dont la synergie fait encore défaut.
Vouloir faire correspondre le périmètre géographique d’une organisation avec celui de la menace n’en reste pas moins une lutte institutionnelle sans fin. En effet, il n’existe pas de définition établie et internationalement partagée du Sahel ou de toute autre région d’Afrique (centrale, australe, etc.). Les partenaires techniques et financiers, les chefs d’État africains ou les organisations (régionales et internationales) ont pourtant essayé d’en définir les contours. Or chaque acteur conçoit les limites de l’espace régional différemment en fonction de ses besoins, de ses intérêts et de ses perceptions.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée