Les manifestations antiracistes observées à la suite de la mort de George Floyd ont interpellé au pays de la Téranga. Récit.
Réputé pour son sens de l’hospitalité vécue comme une qualité cardinale du pays à travers la fameuse Téranga, le Sénégal ne peut pas ne pas être évoqué quand on parle des États-Unis et du sort qui y est fait aux Noirs. Avec le souvenir de la traite entretenue à l’île de Gorée, dans la Maison des esclaves, au large de Dakar, les questions d’esclavage et de racisme sont souvent sur les lèvres autant des nationaux que des nombreux ressortissants étrangers que compte le pays. Pourtant, depuis le décès de George Floyd, cet Afro-Américaintué par un policier blanc le lundi 25 mai, on ne peut pas dire qu’il y ait eu beaucoup de grosses manifestations comme on a pu l’observer à travers le monde. Malgré tout, l’indignation a provoqué débat et réflexion au sein de la population.
Une onde de choc transversale
Pour Marie, étudiante gabonaise au Sénégal, c’est surtout le fait que « les gens ne se sentent pas assez impliqués par la question du racisme » qui explique le peu de mobilisation lors des deux manifestations pourtant organisées au début du mois à Dakar. Le pays étant relativement préservé du fléau du racisme grâce à son esprit d’ouverture et de tolérance, peu de Sénégalais y ont déjà subi des discriminations raciales. La diversité de la population favorise le vivre-ensemble d’une mosaïque d’ethnies, de nombreux ressortissants africains, ou encore de résidents principalement originaires d’Europe ou d’Amérique du Nord ayant fait le choix de s’y installer. Pour autant, s’ils se sont peu mobilisés, « les Sénégalais se sentent très concernés par le sujet. Ils ont été choqués par l’agonie, pendant presque 8 minutes 46 secondes, de George Floyd, et son caractère raciste. Le partage en masse sur les réseaux sociaux a contribué à propager une onde de choc et a accentué un sentiment de révolte, notamment chez la forte diaspora sénégalaise présente aux USA », analyse Seydi Gassama, directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal. La condamnation unanime a réveillé l’indignation, particulièrement chez les jeunes. « Il est important que nous, au Sénégal, et de manière générale en Afrique, puissions nous faire entendre et montrer que la jeunesse ne va pas se laisser faire et qu’elle a un message à faire passer », insiste Akina Sambou, co-organisatrice de l’une des manifestations.
La résonance a été particulière chez les expatriés américains, comme Stéphanie, bibliothécaire dans une école internationale de Dakar et originaire de l’Arizona. « Quelques semaines avant George Floyd, un homme noir avait été abattu de 6 balles dans le dos par la police en Arizona. Ces événements affreux doivent permettre de parler du racisme et des discriminations contre les minorités dans leur ensemble pour changer la situation », appelle-t-elle de ses vœux.
Racisme interafricain
Si le Sénégal est relativement protégé, le continent africain n’est pas exempté du racisme : « En Mauritanie, les pratiques esclavagistes persistent, ou encore au Maghreb les personnes de couleur noire sont régulièrement victimes de discriminations », rappelle Seydi Gassama. Djibril, comédien sénégalais de 32 ans, en a amèrement fait les frais lors d’un déplacement professionnel à Tunis. « Certains se bouchaient le nez à notre passage dans la rue ou nous insultaient en arabe », se souvient-il, meurtri par ces attitudes. Si dans un premier temps, dérouté, il a préféré laisser passer, il a ensuite adopté une « attitude de résistance », seul moyen selon lui de pousser au débat et de faire réagir pour opérer un changement de mentalités.
Les violences policières dénoncées
Le débat sur le racisme a aussi relancé la question des violences policières dans le pays, un problème endémique sur le continent, qui s’est accentué pendant cette crise sanitaire avec l’instauration d’un couvre-feu. Moriba, un activiste sénégalais, pointe du doigt « cette violence qu’on inflige aux citoyens » et fustige « la superpuissance de l’État à travers la police ». Un sentiment partagé par Amine, originaire du Maroc venu pour suivre ses études de médecine à Dakar. « La police est souvent utilisée comme une arme contre le peuple, en Afrique, mais aussi ailleurs, pour écraser l’expression de la population », détaille ce jeune de 25 ans, engagé de longue date contre la violence. Face aux bavures policières, qui restent souvent impunies, le sentiment de défiance de la population tend à augmenter. « La police est censée nous protéger et non abuser de sa force à la moindre occasion ! » s’indigne Akina.
Le panafricanisme en question
Ces événements, en renforçant la solidarité entre les Africains et les Afro-Américains, dont ils partagent les origines et une histoire commune, interrogent sur le rêve panafricain. « Cela pose la question de la place de l’Afrique sur la scène mondiale et démontre l’importance de l’unité du continent pour que sa voix et ses revendications puissent être entendues. La diaspora occupe un rôle primordial dans ce questionnement », argumente Seydi Gassama. De quoi porter à nouveau un regard sur le panafricanisme.
Né aux États-Unis à la fin du XIXe siècle au sein de la diaspora africaine à la suite de l’interdiction de l’esclavage, le mouvement panafricaniste vise à encourager la solidarité entre les peuples africains ou d’origine africaine, mais aussi à l’unification et l’indépendance du continent, en s’appuyant sur les ressources locales et la jeunesse. Selon Seydi Gassama cependant, cette émancipation fait défaut à la classe politique, qui semble avoir abandonné depuis un certain temps l’idée d’un État fédéral panafricain continental. Si les classes dirigeantes n’ont pas concrétisé cette aspiration, la jeune génération, lassée d’être ignorée, adhère massivement aux idées des penseurs panafricains. « Ce qui s’est passé avec George Floyd, et dans d’autres cas de violences policières racistes, est symptomatique de la place qu’occupe le Noir dans le monde. Il faut avancer, se battre pour l’égalité et mettre fin à cette domination de l’Occident », souligne Djibril, qui pense que la culture peut aider à sensibiliser beaucoup de personnes.
Les idées de Cheikh Anta Diop, égyptologue sénégalais reconnu qui a œuvré à la valorisation de l’Afrique, interpellent fortement la jeunesse africaine. Il a donné son nom à l’université de Dakar et est souvent évoqué en ces temps où tous les drames du peuple noir défilent dans la mémoire collective. En tout cas, si de nouveaux leaders panafricains émergent, les mentalités évoluent. Certains, à l’image d’Amine, restent sceptiques sur un changement en profondeur de la situation : « Je doute que ces événements rejaillissent sur le continent. Les Africains ont d’autres préoccupations en tête. C’est très loin de leur quotidien et ils doivent déjà résoudre des problématiques profondes », avance le futur médecin. De fait, si le changement reste incertain, la réflexion est plus que jamais d’actualité.
Source: Le Point Afrique/Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée