Attendu depuis longtemps, critiqué par l’opposition pour son coût jugé exorbitant, le Train express régional (TER) est enfin une réalité. JA l’a emprunté.
« Et pourtant il roule ! » C’est ce que le président Macky Sall, paraphrasant Galilée, pourrait lancer, ce 27 décembre au soir, à ses compatriotes depuis la gare de Diamniadio, lors de l’inauguration officielle du Train express régional (TER). Ce projet ferroviaire pharaonique, censé donner un nouveau souffle aux transports interurbains entre la capitale sénégalaise et sa grande banlieue – dont les études préparatoires avaient été lancées en 2014 et les travaux en 2016 -, aura fait couler beaucoup d’encre jusqu’à son entrée en service, déjà reportée.
Le trafic passagers (115 000 voyageurs par jour, selon les estimations) devrait atteindre son rythme de croisière d’ici à la mi-janvier, après un « programme découverte » offert aux usagers afin qu’ils puissent « s’approprier » dans un premier temps ce nouveau moyen de transport, dixit l’entourage présidentiel.
Chiffres vertigineux
« Avec un tel budget, j’aurais pu concevoir une liaison ferroviaire entre Dakar et Tambacounda [ville située à 460 kilomètres au sud-est de Dakar] », ironise un entrepreneur sénégalais, résumant les critiques souvent formulées contre le budget estimé de l’ouvrage. Les chiffres avancés oscillent en effet entre 750 milliards de francs CFA côté gouvernemental – 1,15 milliard d’euros – et 1 000 milliards selon l’opposant Ousmane Sonko – soit 1,5 milliard d’euros…
La construction du TER et de ses nouveaux rails a par ailleurs impliqué une vingtaine d’entreprises françaises – dont Eiffage, Engie, Thalès, SNCF – mais aussi turques et sénégalaises. Une autre critique récurrente faite au projet, qui n’aurait pas fait la part assez belle aux entreprises locales, même si le personnel recruté pour assurer l’exploitation du Train express régional est essentiellement originaire du pays.
Censé désengorger le trafic routier entre Dakar et sa banlieue (une agglomération surpeuplée qui concentre près du quart des 17 millions d’habitants du pays sur 0,3 % du territoire national), ce projet novateur en termes de transport urbain est, cette fois, sur les rails.
Une gare ressuscitée
Au lendemain de Noël, Jeune Afrique est allé s’en assurer. Au Plateau, en centre-ville, la gare de Dakar a retrouvé des couleurs. Niché face à la Place des tirailleurs africains, derrière la statue de Demba et Dupont – le tirailleur sénégalais et le marsouin français -, ce bâtiment d’inspiration coloniale datant du début du XXe siècle était devenu un vestige architectural plus qu’un hub ferroviaire.
Pour seule activité, au cours des dernières années, cette gare devenue orpheline avait dû se contenter du « Petit train de banlieue » (aussi dénommé « Petit train bleu »), une connexion banlieusarde archaïque reliant Dakar à Rufisque en passant par Thiaroye. Et, en guise de « grandes lignes », d’une liaison entre Dakar et Saint-Louis (au nord), hors d’usage depuis des années, et du fameux chemin de fer Dakar-Niger, qui permettait de rallier Bamako en 36 heures, une fois par semaine.
Ce dimanche 26 décembre, la donne a changé. Dans le hall – modernisé – de la gare de Dakar, une boutique Aelia et un Relais H sont encore en sommeil en attendant leur ouverture au public, tandis que des techniciens de la Radio-Télévision sénégalaise (RTS) déploient leurs câbles afin d’immortaliser l’événement. Pour accéder aux quais, des tourniquets modernes assureront demain le filtrage.
Sous le regard vigilant de gendarmes et de militaires – dont l’un, en treillis, filme l’événement tel un journaliste-reporter d’images -, un groupe de lycéens emmenés par un guide de la Seter (la société d’exploitation du TER, qui cédera bientôt la place à la sénégalaise Senter) s’ébroue sur les quais à la découverte des rames ultramodernes qui suppléeront les « cars rapides » hors d’âge, les « Ndiaga Ndiaye » (minibus) bondés et les « taxis clandos ».
Climatisation et rames silencieuses
Entre Dakar et Yeumbeul, une commune de la grande banlieue, JA a pu tester le TER à la veille de son entrée en service. Autant le dire sans ambages : le résultat – fût-il jugé trop tardif ou trop onéreux – dépasse de loin les espérances. Rames ultramodernes, silencieuses et confortables, wifi et climatisation généralisés, prises électriques entre les sièges dans les wagons de première classe, permettant de brancher un ordinateur ou de charger son téléphone portable…
À vide, si l’on devait le comparer à ses homologues français, le successeur du Petit train bleu aurait plus à voir avec un TGV qu’avec une rame de RER entre Les Halles et Torcy-Marne-la-Vallée, en région parisienne.
Reste à savoir, bien sûr, ce que les Sénégalais en feront. Dans un pays où il est banal de transporter des sacs de guédj (poisson séché, à l’odeur très envahissante) ou de ramener son mouton, ligoté, lors de la Tabaski, sur le toit d’un Ndiaga Ndiaye ou dans le coffre d’un taxi, le choc des cultures risque de faire des étincelles au sein de cette modernité ferroviaire.
PAS DE SACS EXHALANT LES ODEURS DU TERROIR CULINAIRE ; ET PAS D’ANIMAUX NON HOMOLOGUÉS À BORD DES RAMES
C’est pourquoi la société chargée d’exploiter ce nouveau bijou a déjà annoncé la couleur : pas de sacs non étanches exhalant les odeurs du terroir culinaire ; et pas d’animaux non homologués à bord des trains.
Révolutionnaire, mais modeste
C’est à Colobane, à un jet de pierre du centre-ville de Dakar, que bat le cœur du TER. D’un côté, un atelier de maintenance où les rames sont révisées, contrôlées ou réparées. Dans un bâtiment connexe, ce dimanche 26 décembre, une quinzaine d’employés s’affairent dans le Centre des opérations ferroviaires, semblable à une tour de contrôle, soucieux qu’aucune avanie ne vienne entacher l’inauguration officielle prévue le lendemain.
Sur un écran géant, sous la coordination de la superviseure Aïssatou Diagne, ils suivent en temps réel le trafic grâce à un système combinant la représentation électronique des trains en service et les images des caméras de vidéosurveillance placées dans les différentes gares parsemant le parcours du TER : Hann, Baux-Maraîchers, Pikine Thiaroye, Yeumbeul, Keur Massar, Mbao, Bargny, Rufisque…
Aussi révolutionnaire soit-elle, l’entrée en service du TER reste, pour l’heure, modeste. Dans cette première phase d’exploitation, il reliera en effet Dakar à la ville nouvelle de Diamniadio, à une trentaine de kilomètres du centre-ville.
Pour se rendre en TER jusqu’à l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD), et éviter ainsi les bouchons sur l’autoroute aux heures de pointe, il faudra encore attendre jusqu’à la fin de 2022 – « hors taxes », comme on dit au Sénégal pour signifier qu’une rallonge dans les délais n’est jamais à exclure.
Absence d’embouteillages
Dans l’immédiat, les tarifs affichés apparaissent raisonnables si on les compare aux transports en commun routiers traditionnels : de 550 francs CFA (80 centimes d’euro) à 1 500 francs CFA (2,20 euros) en seconde classe, en fonction du trajet effectué ; et jusqu’à 2 500 francs CFA (près de 4 euros) en première classe.
Avec un net avantage toutefois : la fréquence des trains (en moyenne, une rame toutes les dix minutes en journée), la couverture horaire (de 5h30 à 22 heures) et… l’absence d’embouteillages !
Ce qui, dans la région de Dakar, relève d’un miracle dont seule une fête religieuse comme Noël était susceptible d’accoucher…
Source: Jeune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée