Assise sur le bord du gazon, Hala Zakaria, 30 ans, retire son abaya (longue robe portée par les musulmanes) noire. Tandis que Rawan Samir, 22 ans, dénoue son toub (tissu couvrant les cheveux et le corps) à imprimé léopard. Toutes deux enfilent, à la place, un short et un T-shirt rouges. Ainsi que leurs crampons.
Puis, ces deux recrues de la toute première équipe nationale féminine de foot du Soudan retrouvent les autres joueuses pour trottiner, rangées trois par trois, autour d’un des terrains de l’Académie de foot de Khartoum. Nous sommes fin juillet et, depuis un peu moins de deux mois, les 25 femmes sélectionnées se préparent, à raison de trois entraînements par semaine, au premier tournoi de foot féminin arabe.closevolume_off
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Il se déroulera au Caire, du 24 août au 6 septembre, et rassemblera onze pays, dont l’Algérie, le Liban, l’Irak ou encore la Palestine. Or, cette participation constitue, à elle seule, une victoire pour les Soudanaises. Elles s’exposaient en effet, jusqu’en novembre 2019 – soit sept mois après la chute du régime militaro-islamiste d’Omar el-Béchir – à des coups de fouet si elles faisaient du sport en public.
Arrêtée sous l’ancien régime
L’application rigoriste de la charia n’a jamais découragé Hala Zakaria. Cette diplômée d’une licence d’économie a d’abord joué au volley avant d’intégrer la première équipe féminine de foot du Soudan, nommée Al-Tahady (« Le Challenge » en français), en 2010, neuf années après sa création. « Notre principal problème concernait nos vêtements, car nous étions obligées de porter le voile, des longues manches et des joggings, se souvient-elle. Nous nous entraînions soit au Parc international de Khartoum, soit ici, à l’Académie. Mais si un groupe d’hommes voulaient venir jouer au même moment, le responsable nous chassait… »
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En 2015, la jeune femme est arrêtée durant quelques heures. On lui reproche d’avoir pris part, avec son équipe, à un match mixte. « Les policiers se moquaient de nous. Ils nous ont demandé si nous étions capables de rattraper le ballon comme des hommes. Ils nous ont surtout interdit de rejouer au foot dans l’espace public. Nous sommes cependant retournées dès le lendemain nous entraîner au Parc international. Je n’avais pas peur », assure celle qui a toujours bénéficié du soutien de sa famille.
Les critiques perdurent
Son acolyte, étudiante en sciences de laboratoire, est également encouragée par ses proches. À commencer par sa mère, qui récitait consciencieusement des prières pendant la finale du tournoi au cours duquel 23 équipes féminines soudanaises se sont affrontées entre décembre et mars. Rawan Samir s’est toutefois retrouvée confrontée à des critiques lorsqu’elles participaient, plus jeune, à des tournois locaux. « Les spectateurs demandaient si j’étais une fille ou un garçon. Aujourd’hui, cela continue sur les réseaux sociaux avec des commentaires du type : Cette fille est trop jolie ou trop moche pour jouer au foot », rapporte-t-elle. Ses yeux brillants et son visage souriant surplombé de fines tresses témoignent de son indifférence vis-à-vis de ces discours d’une autre époque.
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Ce qui l’inquiète, en revanche, c’est de devoir s’absenter de la fac pour se rendre au tournoi du Caire. Elle aimerait, certes, vivre à terme du foot. Mais, pour l’heure, la petite somme allouée aux joueuses ne leur suffit même pas à payer leurs transports pour aller aux entraînements – d’autant que certaines habitent à plus de deux heures de l’Académie. « La Fédération de foot ne montre pas autant d’intérêt pour nous que pour les équipes masculines, constate Hala Zakaria. Peut-être parce que c’est un sport nouveau pour les femmes, d’un point de vue officiel. C’est sûr qu’un homme qui serait payé aussi peu que nous pour un entraînement refuserait de continuer à jouer. » Elle-même n’a pourtant pas hésité à quitter son poste de serveuse pour se consacrer à la préparation de la compétition. Redevenant, par conséquent, dépendante financièrement de ses parents.
Faire évoluer les mentalités
« Ces femmes risquent à la fois leur emploi et leur santé, car l’équipe ne dispose pas encore d’un partenariat avec une assurance », résume une consultante bénévole qui aide l’équipe Al-Tahady à trouver des sponsors. Mervat Hussein, la présidente du Comité de football féminin explique, de son côté, chercher des entreprises acceptant de soutenir, à l’avenir, l’équipe nationale. Par ailleurs journaliste sportive, elle se réjouit, en tout cas, d’« écrire une nouvelle page pour le sport féminin au Soudan. J’espère que l’équipe va bien s’en sortir dans la mesure où des millions de Soudanaises attendent beaucoup de cette expérience. » « Ses membres n’ont jamais joué à l’extérieur du Soudan. L’important c’est donc qu’elles prennent part à cette compétition, ce qui leur permettra d’améliorer leur technique. Peu importe qu’elles gagnent ou perdent », complète Faroug Jabra, coach de l’équipe et ex-joueur professionnel.
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Après avoir enchaîné les exercices de coordination, de passes, de tactiques et un petit match, Hala Zakaria et Rawan Samir couvrent de nouveau leur corps et leurs cheveux. À moins d’un mois du début de la compétition, l’aînée se disait « très excitée et satisfaite de représenter, pour la première fois, le Soudan au sein de l’équipe nationale ». Un brin plus mitigée, Rawan Samir déclare, face aux difficultés financières, logistiques et culturelles rencontrées par l’ensemble de ses coéquipières : « Nous avons la responsabilité de faire changer cela. »
Source: Le Point Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée