Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dimanche à travers le Soudan pour réclamer aux militaires un transfert du pouvoir aux civils, les forces de l’ordre tirant des gaz lacrymogènes sur les protestataires à Khartoum pour les empêcher d’atteindre le palais présidentiel.
Les rassemblements de dimanche sont les plus importants depuis la dispersion le 3 juin d’un sit-in de manifestants devant le QG de l’armée dans la capitale, un drame qui avait fait des dizaines de morts et provoqué un tollé international. En prévision des manifestations, plusieurs pays et des ONG ont d’ailleurs appelé à la retenue.
Alors que 25 véhicules des redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) avaient été appelés en renfort, la police a tiré en continu des gaz lacrymogènes sur plusieurs centaines de manifestants, arrivés à environ 700 mètres du palais présidentiel, selon un correspondant de l’AFP.
Plusieurs manifestants ont couru dans tous les sens, a rapporté le correspondant. Un acteur majeur de la contestation, l’Association des professionnels soudanais (SPA), avait appelé plus tôt la foule à se diriger vers le palais pour réclamer un transfert du pouvoir aux civils.
C’est au palais présidentiel que siège le Conseil militaire de transition, à la tête du pays depuis la destitution en avril du président Omar el-Béchir au terme de manifestations monstres qui ont duré plusieurs mois.
Aux cris de « Pouvoir civil, pouvoir civil », les Soudanais manifestaient depuis la mi-journée dans plusieurs villes pour réclamer un transfert du pouvoir aux civils, à l’appel de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, dont fait partie la SPA.
« Dictature militaire »
Brandissant des drapeaux soudanais et faisant le signe de la victoire, hommes et femmes ont envahi les avenues de la capitale, scandant leurs slogans au rythme des applaudissements et des klaxons des automobilistes.
« Nous voulons un Etat civil qui garantisse notre liberté. Nous voulons en finir avec la dictature militaire », a déclaré une manifestante, Zeinab, 23 ans.
« Personne n’a donné un mandat au Conseil militaire, tout le monde est contre le Conseil », a lancé un manifestant qui n’a pas voulu donner son nom.
A Khartoum et dans les villes d’Omdourman, de Port-Soudan, d’Al-obeid, de Madani, de Kassala et de Khasma el-Girbade, les manifestants ont scandé des slogans révolutionnaires, selon les témoins.
Les forces de sécurité ont également fait usage de lacrymogènes à Gadaref (est).
La mobilisation de dimanche est d’autant plus impressionnante que les autorités bloquent depuis des semaines l’accès à internet, outil stratégique pour rallier dès le début du mouvement de contestation inédit en décembre 2018.
En prévision des rassemblements, les paramilitaires des RSF ont été déployés sur plusieurs places de Khartoum, à bord de leurs pick-ups chargés de mitrailleuses.
La contestation a été déclenchée initialement par le triplement du prix du pain dans un pays pauvre à l’économie exsangue.
Les manifestations ont rapidement pris une tournure politique en réclamant l’éviction du général Béchir, qui dirigeait le pays d’une main de fer pendant près de trois décennies.
Epicentre de la contestation, le sit-in devant le QG de l’armée, entamé le 6 avril, a été dispersé dans le sang environ deux mois plus tard. Au moins 128 personnes ont péri dans la répression qui a duré plusieurs jours, la grande majorité dans la dispersion, selon des médecins proches de la contestation. Les autorités ont fait état de 61 morts.
« Le monde observe »
Les RSF ont été accusées par les manifestants, des ONG et des experts, d’être à l’origine de cette dispersion.
Un comité d’investigation mis sur pied par les généraux au pouvoir a reconnu l’implication d' »officiers et de soldats », mais le Conseil militaire a assuré avoir donné l’ordre de mener une opération antidrogue dans un secteur voisin, qui a débordé et mal tourné.
Samedi, les généraux ont averti qu’ils feraient porter à l’ALC « l’entière responsabilité » en cas de « perte humaine » ou de tout « acte de vandalisme » pendant les manifestations.
Dernièrement, les protestataires s’étaient contentés de petits rassemblements à Khartoum, parfois dispersés par les forces de sécurité.
Malgré le bras de fer, les chefs de la contestation et le Conseil militaire se disent ouverts à une reprise des négociations, à travers une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, pour dessiner les grandes lignes de la transition à venir.
Avant les manifestations de dimanche, l’Union européenne a affirmé qu’il était « du devoir du Conseil militaire d’assurer la sécurité de tous et de s’abstenir de tout recours à la violence contre les manifestants ».
Pour Amnesty International, « le conseil militaire ne doit pas laisser le pays glisser vers plus de répression. Le monde observe ».
Source: Le point/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée