Traversée par dix ans de conflits pendant lesquels les puissances régionales se sont disputé son leadership, la Libye cherche aujourd’hui un consensus entre des parties pressées par un calendrier électoral chargé (élections législatives et présidentielles prévues le 24 décembre 2021). Les « années Kadhafi » étaient celles de la personnalisation d’un pouvoir sans partage pendant plus de quarante ans.
Aussi, à la mort du « Guide » du désert, l’opposition était exsangue ou exilée. Par ailleurs, en dépit du cessez-le-feu de novembre, le pays -véritable « armurerie à ciel ouvert »- abrite encore de nombreuses milices – y compris étrangères – qui donnent maille à partir au gouvernement. Nombre de miliciens se sont adonnés à des crimes en tous genres, du trafic d’armes à la vente de migrants subsahariens sur les marchés aux esclaves. Ils seraient près de 11 000 miliciens enregistrés dans la seule région d’Abu Qrain, mais « ces chiffres ne sont pas corrects », selon Dr Abdallah du ministère de la Défense libyen, détaché à Misrata. « L’argent est toujours versé aux inscrits et le nombre réel ne dépasse pas 2.000 à 3.000 personnes », estime-t-il.
Enfin, les dissensions entre les forces régionales menacent une paix fragile. Le 10 août, le maréchal Haftar en visite au Caire, avertissait que l’armée libyenne « ne se pliera jamais à un pouvoir civil non élu par le peuple libyen », avant de tempérer ses propos, en se disant prêt « à la paix malgré les divergences accrues ».
Néanmoins, dans l’attente d’élections, qui semblent de plus en plus hypothétiques pour décembre 2021, la consolidation démocratique est amorcée. C’est en tout cas le pari de Super Novae, cofondée en février 2021 par Alexandre Chatillon-Mounier, expert en relations internationales, et par Sébastien Mosneron-Dupin, ancien directeur général d’Expertise France (agence française de coopération technique à l’international) qui cherchent précisément à relever le défi de la réintégration des anciens miliciens sur le marché de l’emploi…
De nouvelles armes techniques pour affronter le marché du travail
Le projet de réintégration économique des anciens combattants libyens qui propose emplois et formations, est financé par l’Union européenne (UE) à hauteur de 350.000 euros et soutenu par la France. Dès le mois de septembre 2021, Super Novae formera 100 anciens miliciens à Zintan et 100 autres à Misrata, mais également des femmes victimes de la guerre civile, qui ont perdu un frère, un mari ou un fils et qui doivent désormais subvenir à leurs besoins.
« Nous voulons aider les entrepreneurs dans des environnements très difficiles, afin qu’ils développent leur business, quel que soit le secteur d’activité », précise Alexandre Chatillon-Mounier, ancien diplomate « de terrain », passé par les Nations Unies, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Expertise France où il rencontra Sébastien Mosneron-Dupin.
L’initiative française soutenue par des partenaires privés libyens est « née de la demande des municipalités et des milices libyennes elles-mêmes », assure Alexandre Chatillon-Mounier. C’est la raison pour laquelle « la Libye est devenue le pays-pilote du projet », ajoute-t-il. « Les profils sont sélectionnés en fonction des besoins du secteur privé local, en concertation avec les conseils militaires et municipaux de Zintan et de Misrata », précise-t-il. Dans un pays où près des deux tiers de la population active travaillent encore dans l’administration -héritage de l’époque kadhafiste-, le développement du secteur privé est devenu une priorité nationale.
Le coût d’une formation de quatre mois est de l’ordre de 2 000 dollars américains. Il est supporté intégralement par Super Novae. Les profils retenus sont très hétéroclites, à l’image des anciens miliciens dont certains étaient soldats de formation alors que d’autres étaient mécaniciens, boulangers ou étudiants pendant les combats. Les profils sélectionnés devront être âgés de 18 ans minimum et ne pas être fonctionnaires. Parallèlement aux formations de techniciens ou de tisseurs par exemple, il sera également proposé aux profils sélectionnés, des formations en codage numérique.
A Zintan, ce sont « les secteurs de l’ingénierie dans le gaz et le pétrole, mais aussi le développement informatique qui requière le plus de main-d’œuvre », a déjà répertorié Mohamed Al Baroni, le maire de la ville de Zintan.
Le secteur privé en support à la reconstruction nationale
Mohamed, 21 ans, ancien étudiant de Misrata devenu milicien pendant la bataille de Tripoli (4 avril 2019 – 5 juin 2020), n’avait pas réussi à réintégrer sa formation d’ingénieur après quelques mois d’interruption. « J’ai pris les armes pour défendre la ville et aujourd’hui, me voilà sanctionné ! Il va me falloir tout reprendre à zéro, m’a-t-il dit. Mohamed est loin d’être un cas isolé […] Nous avons décidé de lui proposer une formation informatique afin qu’il apprenne à développer des applications mobiles et que, d’ici quatre mois, il puisse travailler dans la téléphonie ou développer des logiciels », explique Alexandre Chatillon-Mounier.
Pragmatique, Super Novae s’adresse aux miliciens, mais également aux Libyens qui cherchent à entreprendre, le secteur privé étant désormais considéré comme un outil de consolidation démocratique. Super Novae procurera une aide de 1 500 euros aux 40 profils qui présenteront les projets les plus bancables à l’issue de leur formation.
Afin de sélectionner les entrepreneurs de demain, le fondateur de l’initiative sillonne les provinces libyennes et s’échine à convaincre des combattants souvent animés par un fort sentiment d’appartenance au groupe. Pas facile d’abandonner le statut de guerrier qui fascine autant qu’il n’inquiète dans les villages… « Ils auraient été près de 40.000 combattants de moins de 30 ans sur tout le territoire, à avoir pris les armes et ne seraient plus que 3 000 à 4 000 en activité, sur les check-points », ajoute-t-il. « L’absence d’un environnement approprié cumulé aux chocs post-traumatiques et l’existence d’intérêts extérieurs poussent certains miliciens à la poursuite des guerres » estime le Docteur Abdallah, pour qui « les addictions » fréquemment observées, sont également des freins récurrents à leur réinsertion.
Bashir, 20 ans, est un ancien combattant de Misrata. Il rejoindra bientôt le programme de Super Novae, car il ambitionne d’ouvrir la première ONG locale à Misrata. « J’ai passé plus d’un an dans la milice. En septembre 2019, je redoutais le retour de l’ancien régime via Haftar […] J’ai finalement quitté les forces armées en février 2021, car j’estimais qu’il y avait un manque de reconnaissance du gouvernement envers ses combattants ».
Le projet est amené à se déployer dans d’autres régions du monde, notamment au Liban, en Irak, en Syrie ou encore au Sahel ou au Sud-Soudan. Enfin, Alexandre Chatillon-Mounier envisage, à moyen terme, de créer un fonds d’investissement pour accompagner les entrepreneurs dans les pays en voie de consolidation démocratique.
Source: La Tribune Afrique/ Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée