« Première dame » autoproclamée qui ne manque aucune occasion de le chanter, Aka Jacqueline prend, à travers les élections locales à Tokpli (sud-est), une revanche personnelle sur son destin. Peu consultée par le président togolais qui a toujours eu une préférence pour ses nombreuses maitresses brillantes et instruites, elle a voulu faire de sa victoire à la mairie une course de rattrapage. Si son impulsivité et son mépris de parvenue joue contre elle, « Jackie » peut compter sur une cargaison de milliards que sa proximité avec le régime lui a permis d’acquérir.
12 septembre. Peu avant la fin de matinée, pour la première fois en public, cette combattante impitoyable et arrogante coulera quelques larmes. Ce matin, cette femme sobrement stylée de 49 ans qui a un penchant pour les couleurs vives a préféré un complet de pagne vlisco moins éclatant. Si ses ballerines ont rehaussé sa petite taille dont elle fait un acculant complexe, cette adja (ethnie du sud Togo et Bénin) n’était pas moins ravissante ce grand jour où sera élu le maire de sa commune natale. Disposant, pour Dunegnon, le mouvement qui l’a faite conseillère municipale de sept élus sur quinze, elle a confié la débauche de la voix manquante à Kodjo Djissenou, son acolyte de mauvais augure. Sauf que, contre toute attente, l’opposition est restée soudée et Dégbé Kokou, candidat du Mouvement patriotique pour la démocratie et le développement (Mpdd) a été élu maire. Peu après, Jacqueline Aka et conseillers de son parti ont quitté les lieux, sans autres raisons que des alibis de procédures. Le représentant du ministère de la décentralisation sur lequel son statut de « première dame » lui donne une certaine ascendance la suit, le préfet, garant du scrutin, déserte aussi les lieux. L’élection n’aura plus lieu que ce samedi 14 septembre en matinée. Et comme autant que le destin, le sort est têtu, les résultats seront identiques. Mais cette femme colérique et revancharde n’aura pas dit son dernier mot et grâce à ses milliards, elle n’est jamais totalement vaincue.
Plus prospère dans les affaires qu’à l’école
Si peinant, dès son arrivée au collège, à passer d’une classe à la suivante, Jacqueline Aka a quitté les bancs avant même le Brevet d’étude de premier cycle (Bepc), sauf que dans les affaires, elle a très vite prospéré. A moins de 50 ans (elle est tantôt née en 1970, tantôt en 1973, selon les circonstances), cette dame de fer passionnée des voiture de luxes et autres V8 a déjà accumulée une cagnotte de guerre et ne rate aucune occasion de l’exhiber. Lors des législatives de décembre dernier où, grâce aux multiples malversations et à la fraude massive, elle a conquis deux des trois
sièges en jeu dans sa circonscription, son convoi était digne d’un rallye américain. Et les billets de banque ont volé dans l’air dans cette préfecture trop habituée à humer les poussières de calcaires, ressource dont regorgent abondamment ses sols. Son destin a connu un coup de pouce depuis son intime proximité avec le chef de l’Etat. La principale activité de cette ancienne vendeuse de tomate, c’est la livraison des câbles électriques à la Compagnie de l’énergie électrique (Ceet) une société d’Etat handicapée par ses dettes dont une partie est due à l’achat desdits câbles, deux fois que de besoin. Objectif, enrichir celle qui s’amuse à s’appeler « Madame Faure ». Mais malgré son immense prospérité, cette ambitieuse aurait voulu être davantage associée à la gestion de la chose publique. Complexée d’être l’une des rares « copines du Boss » à ne pas pouvoir influencer sur le plan intellectuel et stratégique, elle a fait de la préfecture de Yoto (sud est), son terrain de boxe enchaînant des rings dans les élections intermédiaires. Mais comme une plaie incurable, son passé académique constitue, selon de multiples témoignages, un complexe dont elle peine à se passer. Si, au début de son ascension dans les affaires, elle s’est inscrite à des cours « privés » pour combler les lacunes, elle aura vite abandonné, « faute de temps » selon la directrice de Société Technologies Distribution (STD). Ce qui n’est d’ailleurs pas utile pour être « first lady ».
Résistants complexes de first-lady
Faure Gnassingbé aurait voulu qu’elle ne s’engage pas dans le combat. Peu avant son départ pour Paris, Shanghai, et le Sri-Lanka, isolé et pauvre état qui ne peut rien apporter au Togo, le chef de l’Etat qui enchaîne, comme à son habitude, des tours du monde a vainement tenté de la dissuader. Le président togolais dont s’est rapproché ces dernières années Agbéyomé Kodjo, président du Mpdd aurait voulu laisser à l’ancien Premier ministre la direction de sa commune natale. Les deux hommes en auraient discuté pendant la seconde quinzaine d’août, mais c’est sans compter avec la détermination de la tête de liste de Dunégnon. Etant exclue du cercle trop fermées des « grandes femmes du président » qui sont souvent des intellectuelles bien formées qui l’assistent au quotidien, Jacqueline ne digère guère. Elle aurait voulu, n’eut été son parcours scolaire plutôt escamoté, appartenir à cette galaxie élitiste dont la liste ne cesse de s’allonger. Elle n’y est pas et s’en offusque à volonté. Quadriller la préfecture ne lui permet pas seulement de rassurer son président de mari, mais aussi de crier à qui peut l’entendre qu’elle est utile. Quoi qu’on dise, les réactions de Jacqueline sont reflets de son parcours, de ses folies et ambitions mais aussi de ses complexes et colères.
Scandales au galop
Vantarde et « m’as-tu-vuiste », elle aime les scandales et sait en multiplier. En obtenant de l’anglais subventionné par l’Etat avec 3000 CFA (4,5€) en moins sur le prix auquel le Togo a acheté le sachet, elle a multiplié ses bénéfices en peu de temps. Au CHU SO (hôpital public) et à l’université de Lomé, elle a décroché, abusivement et gré à gré, le marché d’installation de postes internet et le fera au rabais technologique pour doper son bénéfice. Et les exemples sont multiples, l’impunité totale dont elle jouit la blinde. Même sa fondation éponyme a une stratégie adaptée pour contourner les dédouanements, faisant entrer des denrées mises en vente sans hors de tout circuit humanitaire, pour dame Aka, aucun moyen n’est de trop pour se faire de l’argent. Bien que des techniciens de la Ceet se soient plaints à plusieurs reprises d’achats excessifs de câbles dont la grande partie ne sera jamais utilisée, elle n’a aucune raison de s’inquiéter pour son business. Comme quoi, quelques nuits sous la couette d’un prince vaut une immunité tous azimuts sous les tropiques.
La cinglante défaite de Jacqueline à la mairie de Tokpli (Yoto 3) ne suffira pas à déstabiliser cette spécialiste des menaces qui annonce déjà « prendre sa revanche » menaçant de destitution le maire élu. Avec pour toute antienne, « l’argent peut faire tout« , elle ne s’avoue pas vaincue. La suite du combat pour Mpdd promet d’être houleux. Agbéyomé Kodjo semble en avoir conscience.
Tribune d’Afrique