Sept ans après le lancement de ce vaste projet de lutte contre la pauvreté et alors qu’elle le pilote depuis 2017, nul ne conteste les exploits du Fonds national de la finance inclusive (Fnfi). Mais le rigorisme à l’excès de Mazamesso Assih a de quoi déranger et certaines de ses dernières décisions ont fini d’exacerber tensions et détractions. Même si le fait que la structure ait été précédemment miné par le népotisme et le tribalisme, rendant incontournables certains cadres peu compétents est aussi la bombe à retardement qui explose à petits feux.
Créé depuis 2014, alors que le Togo a pris l’exemple sur un projet similaire au Bénin, le Fonds national de finance inclusive (Fnfi) a tâtonné un peu avant de prendre son envol. Si l’arrivée de Assih Mazamesso a propulsé les résultats de l’institution depuis quatre années et remonté à près de 95% le taux de remboursement, son acharnement à mettre le personnel sous pressions, obsédée quelle est par des résultats et ses récentes décisions à remplacer certains cadres ont de quoi déranger. Dans un pays où la microfinance publique est perçue comme une « machine humanitaire », le trop de rigueur à vouloir la rentabiliser et à l’inscrire dans le temps a de quoi susciter des remous. Il est aussi, constamment et à raison, reproché à Assih Mazamesso de passer au vitriol des compétences de cadres dont certains ont su, pour monter dans l’appareil, compter sur des « parrainages » et souvent, sur leurs origines ethniques. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ont été rattrapés par leur passé et comme, au Togo où partout ailleurs, la presse est un bon instrument de guerre, les attaques n’ont pas tardé.
Ces cadres que le passé à tôt fait de rattraper
Huit personnes et au même moment, cela peut paraitre trop pour une boite dont les résultats parlent d’eux-mêmes. Notamment au cours de ces trois dernières années. Et la méthode très rigide d’une jeune dame qu’insupporte le népotisme a vite fait d’éveiller les relents machistes, puisqu’on est évidemment en Afrique. Même si, à y voir de près, le passé de nombre d’entre eux ne plaide pas pour les concernés. Pierre Hounkpati aurait pu continuer sa carrière de Directeur des opérations en remplacement de Yves Gnaba, promu Directeur général. Mais ses principaux collaborateurs ont tout de suite remis eux-mêmes en cause sa compétence, tellement les limites de ce cadre à qui l’institution a dû payer des cours de recyclage sautent à l’œil. Mais ses contre-performances ne l’ont pas empêché d’y passer quelques années, avec le soutien présumé de Victoire Dogbé qu’il brandit lui-même comme son principal argument. Idem pour Agathe Anato, qui malgré sa superficielle maîtrise de l’informatique a tout de même été bombardée en 2015 responsable du sensible secteur informatique de l’institution alors qu’elle peinait à tenir le coup à la Togolaise Des Eaux, TDE où elle était précédemment en poste. Elle a plus mélangé réseaux et algorithmes qu’affronter des défis informatiques. Sur les 20 modules qu’elle était chargée de développer, seulement 7 ont abouti avant d’être remis en cause par l’audit externe. Sa proximité avec Gwladys Dogbé, la fille, lui aurait servi de rempart jusque-là. Si la nomination de Amla Kokou qui enchaîné de sulfureuses magouilles au ministère de l’agriculture où il a été assistant en passation de marchés a été liée par des cadres du Fnfi à ses origines de Vo, région de l’actuel premier ministre du Togo, il ne fait pas de doute que son arrivée inattendue dans la boite est en partie liée à la générosité de sa « grande sœur« . Il clame son invincibilité qu’il ne cache pas devoir « au parrainage » par lequel il jure sans cesse. Plusieurs de ses marchés attribués en 2017 ont été, à raison, contestés. C’est tout le contraire de Awal Tchanilé. Prompt et compétent, le chef d’agence de Kara plutôt apprécié n’a pas digéré son échec à briguer le poste de Directeur des opérations pour lequel il s’estimait « plus apte que quiconque » sans y être retenu. L’aigreur et la dépression l’ont rendu révolté alors qu’il était prédestiné à une brillante carrière. « Mais pour être promu dans cette boite, il faut être dans le cercle des puissants du Vo, (sud-est) » dénonce une jeune dame de l’institution qui ne supporte plus ce que, dans les couloirs, on appelle « la VOdisation » du Fnfi.
Une tribalisation qui désarme les compétences
« La situation agace beaucoup de compétents qui se retrouvent sous les bottes de chefs limités » s’emporte un autre cadre. Selon ce dernier, « le réseautage à outrance et les guerres de chapelles tuent la boite ». Il donne, sous couvert de l’anonymat l’exemple de Bibiane Boccovi. Cette approximative commerciale de Télé Deuxième (Tv2) clame à qui veut l’entendre qu’elle doit son poste de chargée de mobilisation des ressources à son appartenance à la Chorale Eclat d’Or, mettant mal à l’aise Mme Dogbé dont le père en est le promoteur. Ses piètres résultats ne l’ont pas empêchée de se maintenir jusqu’alors pendant que Kagni, passé brusquement de son statut de Gestionnaire de portefeuilles au service de partenariat produits doit là encore, son salut, à ses origines. Il est de Vo. Si Houénou Prosper n’est pas de cette localité, cet ancien Directeur du crédit à Fucec, une microfinance locale dont le triste palmarès a laissé moult casseroles dans son ancienne boite était au Pnud quand le Premier ministre y était. L’ancien Directeur général du Fnfi a été vite mis au placard, remplacé par Yves Gnaba en 2016. Ses penchants homosexuels et des cas d’harcèlements y afférents ont, semble-t-il, dégouté sa hiérarchie d’alors malgré leur fort lien noué depuis leur adolescence. Pendant longtemps, « au lieu d’assainir la maison, Assih Mazamesso a laissé la situation trop durer » regrette un ancien responsable du Fnfi qui aurait voulu que le toilettage de cette institution minée par « les parrainages » ait lieu plus tôt. Mais mieux vaut tard que jamais.
Assih Mazamesso doit mettre de l’eau dans son vin
La secrétaire d’Etat dont on dit qu’elle ne change pas d’avis quand « c’est pour le bien de tous » aurait tout de même pu mettre un peu d’eau dans son vin et les remplacer progressivement. Car huit cadres d’un seul coup, cela peut bien paraître beaucoup. « Mais c’est une niche de paresseux et d’incompétents » tonne un cadre, cité plus haut. Finalement, si en excitant ses proches collaborateurs au travail, Assih Mazamesso a réussi les derniers exploits du Fonds national de finance inclusive (Fnfi), cette ancienne du secteur privé français (Peugeot SA, EDF ou encore Generali) craint sans doute de brusques rechutes des résultats en potentiel lien avec une ambiance de plus en plus dégradée et désinvolte. « Le pire, ces cadres qui ont bénéficié du népotisme et des faveurs de réseaux anéantissent les efforts et le travail des autres » s’en lasse un expert qui a souvent travaillé pour le Fnfi. Malgré tout, l’institution brille par les bons résultats. De nouveaux produits dont le Kit de Financement Formation Entrepreneuriat (KIFFE) et le produit NKODEDE ont vu le jour, une ligne de crédit de 20 milliards a été mise en place pour faire face aux conséquences Covid-19 pour les entreprises et récemment, le Gabon, le Burundi et le Burkina Faso ont envoyés à Lomé des missions pour s’imprégner de l’expérience togolaise. En 2018, le Taux de bancarisation élargi (TBE) de l’Union ressortait en effet à 41,1% contre 35,8% en 2017, soit une hausse de 5,3 points. Et la barre de 100 milliards de crédits octroyés a été affranchie pour 1 784 987 prêts accordés.
Mais pour ne pas « indisposer » les réseaux proches du pouvoir qui ont placé leurs hommes avant son arrivée, Assih Mazamesso ne doit-elle pas mettre de l’eau dans son vin ? « L’obligation de maintenir le cap ne lui laisse pas le choix » conclut l’expert. Espérons que le processus de mise à l’écart de ces huit cadres aboutisse pour ne pas être un triste précédent contre-productif. Mais rien n’est moins certain pour le moment.
Tribune d’Afrique