Le Togo vient de lancer un projet qui se veut ambitieux. La Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA) en périphérie de Lomé a été inaugurée pompeusement début juin par Faure Gnassingbé au nord de la capitale togolaise. Le gouvernement a annoncé une révolution en cours et promet 35.000 emplois directs. MAX-SAVI Carmel fait, pour le bimensuel togolais « L’Intelligent » une analyse de l’initiative en lien avec d’autres projets restés sans suite et pose la question de la pertinence de la stratégie de développement du régime.
Le Togo vient de lancer un grand projet ou supposé l’être, une plateforme industrielle qui porte placidement le nom du quartier où elle est installée, Adétikopé (nord de Lomé) (PIA). Ce qui donne un de ces sigles favoris de Victoire Dogbé, la Première ministre présente à l’occasion et ayant fait une remarquable allocution. Précédemment ministre du développement à la base, elle en a accumulé, pour désigner ses nombreux projets, ces sigles aussi fantaisistes que superstitieux aux contenus creux et aux ambitions toujours ronflantes. Une dynamique de l’utopie et de l’approximation qui remet en doute la pertinence même de la vision de développement du Togo par ceux qui le dirigent. Un bluff de plus qui sème le doute autour de l’initiative phare des quinze dernières années, le Plan National de Développement (PND) vanté tambour battant en 2018 qui est resté calé, tel un os oublié, dans les illusions voraces de ceux qui l’ont brandi comme ultime porte de l’émergence économique. Ici, on réplique le passé, avançant comme des technocrates sous suppo des chiffres, rassurants pour le naïf que le togolais n’est plus. 35.000 emplois directs, une révolution industrielle sur 400 hectares et surtout, comme le ridicule sait porter ici l’improbable, on promet même de passer de 75 millions à 1 milliards de dollars les exportations. Une multiplication par 12 en quatre ans qui fait rigoler à l’éclat le sot. Il est impossible, miracle inclus, de multiplier par douze (12) les exportations d’un pays qui depuis son indépendance en 1960 est resté dans les limbes de l’industrialisation. Mais retenez votre rire, le risible ne tue plus ici.
PIA, un projet presbyte aux pieds d’argile
Un projet presbyte. La presbytie, vous en savez quelque chose ? J’en porte quelques légères séquelles depuis que la quarantaine m’a surpris en vol de vie. Contrairement au myope, le presbyte ne voit pas de près. Ultime mal pour un Togo qui a perdu, depuis mathusalem, la vue de loin. La base de l’industrialisation, c’est la main d’œuvre compétente en concomitance évidente avec les besoins réels du projet. Ici, aucune vague de formations n’a eu lieu. On commence en forçant un peu les choses, faisant venir des indiens et quelques égarés de l’Asie de l’Est pour occuper même des postes de techniciens, d’ingénieurs et parfois d’ouvriers qualifiés que devraient se partager des togolais. Première faute grave mais pas la seule. Ensuite, le projet est un plan d’étrangers sauf qu’il est réalisé au Togo. Les hommes d’affaires togolais, le secteur privé, les grands investisseurs nationaux ont été, tous mis à l’écart. Il s’agit d’une captation de l’économie à huis clos. Enfin, alors que certains secteurs sont en train de s’organiser grâce aux modestes producteurs locaux comme l’anacarde et le soja pour se tirer d’affaire, en acceptant cet envahissement indien mené par le trop sulfureux Gupta par voie de zone franche, l’Etat asphyxie les petits producteurs, les contraint à une vassalisation auprès des indiens et crée une filière d’emplois précarisés. On l’a vu avec l’entreprise Amina, installée en statut de zone franche et d’autres usines de productions situées en zone portuaire comment, la libre compétitivité des salaires a plongé dans l’indigence des travailleurs togolais. Si les éléphants blancs sont des projets inachevés qui laissent des traces bétonnés et visibles, les rhinocéros bleus sont bien ficelés, chiffrés par de faux blancs à l’éthique « mulâtresse » comme Lionel Zinsou, Carlos Lopez et d’autres mais disparaissent sans crier gare. C’est une évaporation à ciel ouvert de deniers publics. Et de cela, le Togo n’a point besoin.
La danse des rhinocéros bleus….
Les éléphants blancs ? c’est la spécialité de ce pays de 10 millions d’habitants gouverné au pifomètre par une caste minoritaire portée par une oligarchie insatiable. Les éléphants blancs sont inachevés, on le sait, le pays en compte par dizaines. Mais les rhinocéros bleus sont attirants sur papier et disparaissent sans trace. Le Plan national de développement en compte pas mal. Il est bien difficile pour l’exécutif togolais de rassurer, dans ce flou total les togolais. La convention qui unit l’état aux indiens est un graal mythologique dont personne ne trouve les traces. On ne sait pas ce qui y est exactement écrit alors que le pays a un parlement, plus bigarré que ceux unicolores qui l’ont précédé car celui-ci compte quelques peulhs qui « veulent compter des vaches plutôt que de boire du lait » pour paraphraser le président du groupe parlementaire majoritaire, désignant les « faux » députés d’opposition. On aurait pu leur faire parvenir copie de cette fameuse convention. Le Togo se lie à des étrangers, dans un cadre plus qu’opaque sans que les togolais ne soient associés, une sorcellerie tropicale en plein jour. Il faut, si le projet tient à cœur au gouvernement, en repenser le contenu, associer la chambre du commerce et de l’industrie (Ccit), l’Association des grandes entreprises du Togo (Aget) et privilégier tout investisseur togolais local ou de la diaspora. Mais avant tout, rendre publique la convention.
Suite lunatique d’un PND sous éteignoir
Le Plan national de développement (Pnd), vous en entendez encore parler ? Non. Il a fait du bruit en deux petites années et est passé sous silence. Et pour cause, l’Etat n’a jamais réussi à mobiliser les 4600 milliards CFA nécessaires à sa réalisation. Ses 35% ? L’Etat ne les a pas. Il ne les aura jamais. Ici ce n’est pas l’Etat qui a l’argent mais ses commis qui remplissent les dessous de table et les paradis fiscaux. Les 65% du secteur privé ? Les hommes d’affaires du pays savent bien le risque qu’ils prennent avec un Etat surendetté à plus de 80% de son Pib et où l’inflation galope comme un chameau enragé, avec en corollaire une subite cherté de la vie. Dans cette situation où le plus grand, le plus emblématique et le plus important projet de Faure Gnassingbé, le Pnd, est en sursis, il y a de quoi remettre en doute la parole de la République et ses projets aussi farfelus les uns que les autres. Même si, ironie du sort, le lancement se fait un 06 juin, jour anniversaire de celui qui, depuis 16 ans, tient d’une main de fer le pays. Il n’y a pas de doutes qu’il s’agisse d’un plan d’enrichissement d’une minorité pilleuse que le président dénonce sans y toucher. Trop de milliards jetés par la fenêtre par ce pays qui est péniblement devenu Pays pauvre très endetté (Ppte). Une expression à la sémantique pour le moins insultante. En attendant, que l’Etat règle le problème des terres arrachées injustement à de pauvres populations. Sans indemnités. Comble de l’indécence. Bonjour Lomé, bon arrivée, PYA, pardon, PIA.
MAX-SAVI Carmel, Afrika Stratégies France
Source: L’Intelligent N°08 du 30 Juin 2021