Lui dénonce des crocs-en-jambe pour lui barrer le chemin qu’il s’est frayé pour pousser les portes du Palais de Carthage. Pourtant, l’enquête qui lui vaut aujourd’hui son inculpation semble dater d’avant le dévoilement de ses ambitions présidentielles. Nabil Karoui a été inculpé de blanchiment d’argent au moment où sa popularité grimpe en flèche pour en faire l’adversaire le plus sérieux de Youssef Chahed. A-t-il exploité cette montée dans l’estime populaire comme un paravent lorsque les accusations allaient fuser? Cette inculpation est-elle un moyen de l’éliminer de la course au Palais ? Beaucoup de questions entourent l’inculpation de celui qui se rêve en successeur de Béji Caïd Essebsi.
Gels de leurs avoirs en Tunisie, interdiction de sortir du territoire tunisien, le tout assorti du chef d’inculpation de «blanchiment d’argent» sur une liste non encore totalement dévoilée. A en croire une dépêche de Tunis Afrique Presse (TAP), l’agence de presse publique, ces mesures conservatoires ont été prises le 28 juin dernier par le Pôle économique et financier du parquet. Ce n’est que ce lundi 8 juin que l’inculpation a été notifiée à Nabil et Ghazi Karoui.
De «suspicions» à «blanchiment d’argent»
Ce qui n’était en mars 2014 qu’une plainte de l’ONG I-Watchsignalant à la justice tunisienne des «suspicions de blanchiment d’argent» de la part des deux frères, est devenue une inculpation formelle pour l’homme d’affaires et son publicitaire de frère. Selon la plainte qui a conduit à l’ouverture de l’enquête par le Bureau du procureur en 2017, les deux hommes sont soupçonnés d’être les propriétaires ou actionnaires d’entreprises en Algérie, au Maroc et au Luxembourg, destinées à blanchir des capitaux.
L’enquête prend une tournure internationale avec les demandes de commissions rogatoires qui ont été envoyées aux pays concernés, renseigne une source proche du dossier citée par TAP. Une part importante des investigations est destinée à l’évaluation complète des avoirs de Nabil Karoui et de son frère. En mettant à contribution la Banque centrale et la coopération internationale contre la délinquance financière, l’enquête tentera de retracer également le circuit par lequel, une partie des avoirs des frères Karoui a pu être sortie du territoire tunisien. Seulement le timing de cette affaire ressuscitée pose plusieurs questions. A commencer par les plus gênantes pour l’homme d’affaires.
Nabil Karoui a-t-il investi le champ politique pour se sculpter une carapace suffisamment épaisse pour se protéger de cette affaire? Le 25 juin dernier, la « Tunisie au cœur», l’a désigné comme président du parti. Pour cet ami proche de Béji Caïd Essebsi dont il a participé à la campagne victorieuse, c’est le couronnement d’un positionnement politique qui a profité de la désillusion envers l’offre politique dans un Tunisie post-révolution où on apprécie les disruptions. A 55 ans, le magnat tunisien a en tout cas investi le champ des médias et de la communication mais aussi l’affichage publicitaire, compte un certain Silvio Berlusconi parmi ses partenaires d’affaires. Avec minutie, le fondateur de Nessma TV s’est bâti une popularité dans le monde polico-médiatique qui n’a d’égal que la solidité d’un réseau où se bousculent hommes d’affaires comme politiques.
Acharnement contre les ambitions politiques du magnat?
D’un autre côté, cette affaire agitée en épouvantail est-il un moyen de freiner ses ambitions politiques? Le jour semble être venu où il devra s’expliquer devant la justice tunisienne. Au sein de son parti, explique cette soudaine inculpation par un acharnement à vouloir écarter leur champion à cinq mois des élections présidentielles et législatives. «Cette campagne enragée était prévisible, faisant partie d’une stratégie complète en vue d’attenter à la réputation de Nabil Karoui, son frère Ghazi Karoui et les membres de sa famille, et d’essayer de mettre en difficulté le parti, au cœur de la Tunisie», répond-t-on dans un communiqué.
En tête des différents sondages qui le placent devant Youssef Chahed, Nabil Karoui est-il devenu l’homme à abattre? En attente de promulgation par le président tunisien, les députés ont entériné un amendement à la Loi électorale pour relever le seuil de participation des candidats aux différentes élections à venir. «Ils vont tout essayer pour empêcher ma candidature : par la loi, ça ne marche pas ; en envoyant la police fermer ma chaîne de télévision, en utilisant la justice», confiait Nabil Karoui à nos confrères du Point.
Le magnat des médias s’estime donc victime d’une campagne pilotée par son grand rival de Youssef Chahed. A moins que l’agitation ne soit une technique pour éviter de répondre sur le fond à la question que tout le monde ou presque se pose : d’où vient l’immense fortune de Nabil Karoui? C’est peut-être là la clé de cette fausse vraie affaire.
Source: Afrique La tribune/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée