La plénière de jeudi de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a montré à quel point les Tunisiens étaient divisés. Le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, a compris qu’il était sur une chaise éjectable.
Son allié, le bloc de Qalb Tounes, du magnat des médias, Nabil Karoui, s’est ligué contre lui avec les libéraux et condamné l’intervention étrangère en Libye. La motion de condamnation a recueilli 94 voix favorables contre 68 défavorables. Mais, au-delà de la motion, c’est Ghannouchi qui a laissé apparaître de véritables signes de faiblesse.
Le débat à l’ARP montre le niveau d’enracinement de la démocratie tunisienne. Le président de l’ARP, Rached Ghannouchi, a été auditionné par les députés pour son écart par rapport à la ligne de conduite de la diplomatie tunisienne. Le président Saïed et nombre de partis reprochent à Rached Ghannouchi son soutien ouvert à l’axe islamiste Doha-Ankara en Libye, alors qu’il est président de l’Assemblée. Il fait de l’ombre au chef de l’Etat, en charge constitutionnellement de la diplomatie.
Tensions à l’ARP
Le pire, c’est que Ghannouchi a téléphoné à Fayez Al Sarraj, le président du Gouvernement d’union nationale en Libye, pour le féliciter suite à la reprise en mai dernier de la base d’Al Watiya. La présidence de la République et plusieurs partis politiques ont vigoureusement riposté, considérant cet agissement comme une intervention dans le domaine diplomatique, réservé au président de la République, selon la Constitution de 2014. Le problème est d’autant plus grave que Ghannouchi avait fait un pareil écart diplomatique en janvier dernier, en visitant la Turquie.
La tension en Tunisie sur la question libyenne survient à un moment où tous les feux sont braqués sur la Libye, lui donnant davantage de portée. En effet, pas plus tard qu’il y a cinq jours, le ccommandant de l’Africom, le général américain Stephen Townsend, a téléphoné au ministre tunisien de la Défense, Imed Hazgui, pour lui exprimer «la préoccupation accrue» des Etats-Unis de voir «la Russie continuer à attiser les flammes du conflit libyen». Le communiqué publié par Africom, suite à cet entretien, a parlé de «recours à notre brigade d’assistance aux forces de sécurité».
Laquelle terminologie a nécessité des éclaircissements ultérieurs disant qu’il «ne s’agit pas de forces de combat». Il s’agit plutôt d’une petite unité de formation dans le cadre du programme d’assistance militaire, accordé à la Tunisie. Par ailleurs, cette vive tension en Libye et ses répercussions politiques en Tunisie mettent la pression sur le président tunisien Saïed, afin de bouger en vue de contribuer à trouver une solution au conflit libyen. Une quelconque suite à son projet, annoncé auprès des tribus libyennes, pourrait replacer le Président sur la scène diplomatique, surtout qu’il est connu par sa neutralité.
Majorité fragile
Les interventions des députés avant-hier en disent long sur la fragilité de la majorité autour du gouvernement Fakhfakh. Les députés du parti Chaab, d’El Islah (réformiste) et de Tahya Tounes de l’ancien chef du gouvernement, Youssef Chahed, tiraient à l’arme lourde contre Ghannouchi, le président de l’ARP, l’accusant carrément d’être le pion de la Turquie, alors qu’ils font partie, tous et avec les islamistes d’Ennahdha, de la majorité soutenant le gouvernement.
Le député Zouhaïr Maghzaoui, Secrétaire général du parti Chaab, l’une des composantes du bloc démocratique, n’a pas manqué d’attaquer Ghannouchi. «Le retrait de confiance du président de l’Assemblée est envisageable», a-t-il déclaré. Mustapha Ben Ahmed, président du bloc de Tahya Tounes, a insisté, pour sa part, sur le «devoir de réserve du président de l’ARP, ce qui n’a pas été respecté par Ghannouchi», lui rappelant que «ce n’est pas la 1re fois». Il a déjà été sermonné en janvier dernier suite à sa visite en Turquie.
Quant à Hassouna Nasfi, président du bloc El Islah, il a insisté sur «le fait que Ghannouchi assume ses agissements ; il ne respecte pas consciemment la Constitution». Cela dénote d’un manque flagrant d’harmonie au sein de la majorité gouvernante, d’une part, et dans la ceinture du président de l’ARP.
Les altercations entre les députés des partis Chaab, bloc réformiste et Tahya Tounes, d’une part, et Ennahdha, d’autre part, deviennent monnaie courante, alors qu’ils forment, tous, la ceinture du gouvernement Fakhfakh. Le parti Qalb Tounes s’est désolidarisé jeudi du président de l’ARP, Ghannouchi, laissant présager un possible retrait de confiance, pas cette fois. Mais, tout peut donc être envisagé.
Source: El Watan /Mis en : Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée