Alors que la loi votée en 2017 contre toutes les violences faites aux femmes est la plus grande avancée des dernières décennies, la Tunisie a célébré, ce 13 août, la Journée de la femme… sans aucune manifestation officielle organisée par les pouvoirs politiques.
Dans le monde arabe, la Tunisie s’est toujours distinguée des autres pays. Le responsable de cette « exception tunisienne » se nomme Habib Bourguiba. À peine au pouvoir, l’indépendance acquise, il édicte le 13 août 1956 un Code du statut personnel (CSP) qui accordera aux femmes un certain nombre de droits. L’égalité entre hommes et femmes effectue une série de progrès importants : la polygamie (fort peu répandue en Tunisie) est abolie, le divorce est autorisé et le mariage doit se faire avec le consentement de chacun. Celui qui n’était pas encore président expliquera plus tard qu’il l’avait fait, entre autres raisons, en pensant à sa mère, qu’il avait vu usée par l’éducation de ses enfants et la tenue du foyer. La doctrine Bourguiba consistait à faire entrer dans le droit public des questions qui étaient l’apanage du religieux. Ce qui est notable dans cette démarche, au cœur des années 1950, c’est que Bourguiba le fait sans que personne ne le lui demande. Au risque de froisser une palanquée de dirigeants arabes. Sur d’autres sujets, l’avortement notamment, la Tunisie fut une nation en avance par rapport à d’autres pays européens. Son interdiction fut levée en 1973. La contraception est un droit acquis, irrémédiable.
Héritage : les députés esquivent le projet d’égalité
Lorsqu’il mène campagne à l’automne 2014, pour la présidentielle, Béji Caïd Essebsi évoque sa volonté d’édicter un code des libertés individuelles et de faire voter à son initiative l’égalité entre les hommes et les femmes devant l’héritage. La charia, la loi islamique, offre à l’homme une part double de celle de la femme. BCE mettra en œuvre une commission, la Colibe, afin de recenser toutes les entraves faites aux libertés individuelles et de préparer ce projet de loi. Bochra Belhaj Hmida en sera la présidente. Cette avocate, députée Nidaa Tounes, fera son travail accompagné de plusieurs personnes. Le texte demeure, pour l’heure, un document de travail. L’Assemblée des représentants du peuple, pourtant présidée par Mohamed Ennaceur (membre de Nidaa Tounes), ne consacrera qu’un temps infime à l’étude (en commission) de cet ambitieux projet. Essebsi reprenait là une volonté de Bourguiba, dont il fut ministre. Le père de l’indépendance avait souhaité imposer cette égalité dans les années 1970. Le roi Fahd d’Arabie saoudite lui avait fait savoir qu’il ne « pourrait le suivre sur ce sujet ». La Tunisie avait alors des problèmes économiques importants. Le projet fut remisé.
Un conservatisme qui ne dit pas son nom
Si le parti islamiste Ennahdha était opposé à cette égalité, BCE confessait : « Les conservateurs sont dans mon camp. » Le camp des « progressistes ». À part Bochra Belhaj Hmida, les députés du camp « séculier » seront d’une timidité spectaculaire sur le sujet. L’un d’entre eux expliquait off : « On ne va pas se fâcher avec une partie de notre électorat à un an des élections. » Dans les faits, l’égalité existe. Il suffit de faire une donation entre vivants afin de léguer tout ce que l’on veut à sa fille. Le projet BCE avait pour objectif d’inverser la logique : l’égalité serait la norme officielle, le refus de l’égalité exigerait que les personnes demandent qu’elle ne soit pas appliquée pour leurs enfants. L’acquis le plus important pour les femmes date de 2017.
L’ambitieuse loi contre toutes les violences faites aux femmes
La très ambitieuse loi contre les violences faites aux femmes fut votée en juillet 2017. Bochra Belhaj Hmida, l’une des initiatrices du texte, expliquait qu’il s’agissait de « toutes les violences faites aux femmes dans la famille, au travail, dans la sphère publique… » Et de préciser : « Ça concerne tous les espaces de vie, on parle des violences économiques, morales, psychologiques, sexuelles, culturelles… »
La loi est très ample. Elle ne se contente pas de réprimer. Elle veut éduquer, briser les stéréotypes, l’égalité des salaires… Un projet global qui mettra, selon certains, « une génération » afin d’être réellement en vigueur. Des centres seront construits pour les femmes victimes de violences physiques, l’Éducation nationale devra faire un travail de pédagogie, etc., etc. De très nombreux ministères sont concernés par l’application de ce texte majeur. Selon les résultats des prochaines élections (présidentielle et législatives), on saura si la cause des femmes sera une priorité. Les grands partis ne présentent que peu de femmes comme têtes de liste aux législatives. En moyenne 5 sur 33…
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne :Lhi-tshiess Makaya-exaucée