Kaïs Saïed, le président tunisien, a beau avoir invoqué mercredi 6 avril dernier la figure tutélaire du père de l’indépendance, Habib Bourguiba, à l’occasion du 22e anniversaire de sa mort, cela n’a pas suffi à calmer la colère de ses opposants. Ils étaient plus d’un millier, dont une majorité de partisans du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, à s’être rassemblés dimanche au centre de Tunis pour protester de nouveau contre la politique du chef de l’État qui a récemment dissous le Parlement.
La veille, le chef de l’État tunisien avait tenté de rassurer en affirmant que, après les prochaines élections législatives prévues en décembre 2022, la Tunisie aurait un nouveau Parlement qui « reflétera la volonté du peuple et ses aspirations », a-t-il dit samedi, lors d’une cérémonie pour marquer la 84e fête des Martyrs, célébrée le 9 avril de chaque année. En principe, la Constitution prévoit des élections avant 90 jours, mais le président garde le cap sur son agenda qui prévoit un référendum modifiant la Constitution le 25 juillet, puis des législatives le 17 décembre. « Nous œuvrerons ces jours-ci pour un Parlement national et purement tunisien, dans lequel les députés représentent la volonté du peuple, contrairement au Parlement dissous, qui ne représentait pas l’intégralité de la société. » Ces mots n’ont, semble-t-il, pas convaincu.
« Le peuple veut destituer le président »
« Dégage », « Le peuple veut destituer le président », « À bas le coup d’État », « Constitution, travail et dignité », ont notamment scandé les protestataires, rassemblés à l’appel du parti Ennahdha et du mouvement Citoyens contre le coup d’État. Les manifestants, dont plusieurs figures de gauche, ont dénoncé la dissolution du Parlement décidée le 30 mars par Kaïs Saïed, estimant qu’« il n’y a pas de démocratie sans un pouvoir législatif ».
Le ministère de l’Intérieur avait déployé un dispositif policier massif à grand renfort de barrières métalliques et d’unités antiémeutes, pour contrôler cette manifestation.
Les opposants du président Saïed, qui ont organisé plusieurs manifestations ces derniers mois pour dénoncer sa politique, qualifient de « coup d’État » son accaparement de tous les pouvoirs depuis le 25 juillet. Après des mois de blocage politique, le dirigeant, élu fin 2019, s’est arrogé à cette date les pleins pouvoirs, en limogeant le Premier ministre et en suspendant le Parlement dominé par le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire.
Malgré la désignation d’un gouvernement à l’automne dernier, le président dirige le pays à travers des décrets-lois et a prolongé pendant des mois la suspension du Parlement, qu’il a fini par dissoudre le 30 mars. En février, il a aussi aboli le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qu’il a remplacé par une instance provisoire, dont il a choisi les membres, une mesure qualifiée de nouvelle dérive autoritaire par ses détracteurs et qui a suscité des inquiétudes pour l’indépendance de la justice.
Une délégation de l’UE attendue
La manifestation de dimanche est intervenue dans un climat de tensions politiques accrues après l’ouverture d’une enquête judiciaire contre des députés ayant bravé la suspension du Parlement juste avant sa dissolution, en organisant une séance plénière en ligne. Cette nouvelle mobilisation intervient également à la veille d’une visite d’une délégation européenne sur place du 11 au 13 avril. L’UE s’est montrée « très préoccupée » par la dissolution du Parlement tunisien et les « poursuites judiciaires entamées contre certains de ses membres », a indiqué une porte-parole du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans un communiqué. « Nous appelons au retour, dans les meilleurs délais, à un fonctionnement normal des institutions et continuerons à suivre attentivement les différentes étapes de mise en œuvre du calendrier politique approuvé en décembre 2021 », a ajouté la porte-parole, Nabila Massrali. « Il est essentiel que le processus de réformes soit fondé sur un dialogue inclusif de tous les acteurs politiques et sociaux. »
« Tout en respectant pleinement la souveraineté du peuple tunisien, nous rappelons également l’importance du respect de l’acquis démocratique, de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit et des libertés et droits fondamentaux, y compris les droits civils et politiques, afin de garantir la stabilité et la prospérité du pays », a-t-elle poursuivi.
Outre l’impasse politique, la Tunisie se débat dans une profonde crise socio-économique et est en pourparlers avec le Fonds monétaire international pour obtenir un nouveau prêt. « Nous notons les progrès effectués dans l’élaboration d’un programme de réformes économiques et réitérons notre appui au peuple tunisien dans un contexte de crise sociale et économique d’envergure qui a été aggravée davantage par l’impact de l’agression russe de l’Ukraine », a conclu la porte-parole de la diplomatie européenne.
Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée