Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), s’est posé en gardien du (maigre) Trésor devant les députés, provoquant le retrait du projet de loi de finance complémentaire.
Sortant de sa réserve traditionnelle, le Gouverneur de la Banque centrale (BCT) de Tunisie, Marouane Abassi a tapé du poing sur la table contre le projet de loi de finance complémentaire (LFC), actuellement en discussion. Devant les députés, le 28 octobre, l’ancien représentant de la Banque mondiale en Libye a dénoncé le manque de rigueur dans les dépenses de l’État, que la pandémie ne saurait justifier.
« Le projet de la LFC 2020 fait ressortir un déficit qui dépasse largement les répercussions de la crise sanitaire du Covid-19, pour atteindre un niveau sans précédent estimé à 13 ,4 % du PIB [contre 3 % prévu initialement] », critiquait déjà la BCT la veille de l’audition.
Le projet de loi table sur un financement intérieur de 14,3 milliards de dinars (4,3 milliards d’euros), alors que la loi de finance initiale n’en prévoyait que 2,4 milliards (750 millions d’euros). Une hausse nécessaire afin de payer, entre autres, la masse salariale du secteur public, qui se chiffre à 19,2 milliards de dinars (6 milliards d’euros), soit 37 % des ressources de l’État. Un « un niveau jamais atteint », insiste Marouane Abassi dans sa présentation en 17 diapositives à l’Assemblée.
Voies sans issue
Pour trouver les quelque 11,9 milliards de dinars (3,7 milliards d’euros) manquant en deux mois à peine, deux solutions classiques s’ouvrent à la Tunisie : une sortie sur le marché international ou un recours au financement intérieur. Deux voies sans issue, prévient le gouverneur. Au vu du contexte mondial morose, de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie et de l’« aversion des investisseurs internationaux au risque dans les économies de marché émergents » – dixit la BCT – le recours au marché international n’est toujours pas d’actualité surtout dans un laps de temps aussi court.
Jérôme Vacher, le représentant du FMI en Tunisie, a d’ailleurs fait rappelé la semaine dernière que la Tunisie avait été l’un des premiers pays à bénéficier au printemps d’un prêt d’urgence de 745 millions de dollars de l’organisation internationale pour faire face au Covid-19.
Mais si les autorités sont demandeuses d’un nouveau programme de soutien des réformes, elles n’ont pas convaincu le bailleur international que les conditions étaient réunies. Et ce n’est pas ce budget, peu en phase avec l’orthodoxie financière chère au FMI, qui le rassurera.
Haro sur le financement à coups de bons du trésor
Reste le financement intérieur par l’émission de Bons du trésor assimilables (BTA), achetés en masse par les banques de la place. Une technique éprouvée depuis des années pour éponger les dettes de l’État. Et à laquelle Marouane El Abassi veut mettre le ola : « La participation du secteur bancaire dans ces efforts de mobilisation des ressources par le biais des souscriptions aux émissions du Trésor exercerait davantage de pressions sur la liquidité et induirait, par conséquent, un accroissement du recours au refinancement de la Banque centrale. »
Il a aussi rappelé le risque d’« effet d’éviction » des BTA qui empêchent le secteur privé d’obtenir des prêts bancaires.
Pour Marouane Abassi, l’incapacité du gouvernement à présenter un budget cohérent est d’autant plus frustrante que la BCT, de son côté, est parvenue à maîtriser l’inflation – 5,4 % en septembre – et à reconstituer un niveau d’avoirs nets en devises élevé, représentant 144 jours d’importation, a-t-il souligné.
Il a aussi listé, devant les représentants du peuple, les mesures prises par son institution pour relancer l’économie : la baisse de 100 points de base depuis le début de la crise ramenant son taux d’intérêt à 6,25 % ou encore l’assouplissement des critères d’éligibilité des actifs admis comme garanties aux opérations financières.
Vers un allègement des dépenses publiques
Pas question cependant pour le grand argentier tunisien de remettre l’argent au pot, sous peine de perturber le sacro-saint équilibres macroéconomiques (inflation et tenue du dinar). Une vision restrictive des missions de la Banque centrale que critique notamment Chafik Ben Rouine, dirigeant de l’Observatoire tunisien de l’économie.
Ce dernier milite depuis des années pour une extension des compétences de la BCT, pour « l’adapter aux besoins de l’économie tunisienne (chômage, croissance, investissement) plutôt qu’à l’idéologie du FMI ». Une position néanmoins minoritaire dans le monde économique tunisien, qui a majoritairement salué le « parler vrai » de Marouane Abassi.
Sa présentation a d’ailleurs convaincu le gouvernement puisqu’à l’issue de l’audition, le secrétaire d’État aux finances publiques, Khalil Chtourou, sous la pression de la majorité des blocs parlementaires, a décidé de revoir la copie du projet de la loi de finance complémentaire. Devant l’impossibilité d’augmenter fortement et rapidement les recettes, il a promis d’alléger la colonne des dépenses, mais, a-t-il prévenu, « même si nous pouvons réduire les dépenses publiques, la situation financière reste très compliquée ».
Source : Jeune Afrique/Mis en ligne :Lhi-Tshiess Makaya-Exaucée