Archevêques et diplomates, ils sont une centaine dans le monde. Discrets, très introduits dans les milieux politiques et extrêmement informés, ces ambassadeurs en soutane représentent à la fois le Pape auprès des églises locales mais aussi le Vatican auprès des Etats de juridiction. Alors que François vient d’en nommer trois pour la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et l’Ethiopie, Afrika Stratégies vous offre une enquête sur ces légats qui font office, selon la convention de Vienne, de doyens de corps diplomatique dans leur pays de mission.
30 Janvier 2019. Le Père Emmanuel Wohin Win n’est pas content du gouvernement ivoirien. Le secrétaire générale de la conférence épiscopale le dira de vive voix, lors d’un entretien téléphonique avec le ministre des affaires étrangères. Normalement, le gouvernement ne doit « en aucun cas » révéler le nom de l’ambassadeur du Vatican mais juste approuver. « Le gouvernement prend acte de la nomination sans révéler de nom » insiste Wohin Win. Ironie du sort, frappé par un violent accident de circulation, le nonce nommé ne prendra jamais service. Mgr Ante Jozic suit encore des soins intensifs. Sauf que ce rappel à l’ordre ne changera rien. Huit mois plus tard, le conseil des ministres de la Côte d’Ivoire commettra les mêmes impairs. En approuvant la nomination de Paolo Borgia, le gouvernement révèle encore les identités du prélat italien avant de s’en excuser discrètement auprès de l’archevêque d’Abidjan. Seule la conférence des évêques d’un pays ou la Nonciature (ambassade du Saint Siège) peuvent révéler l’identité d’un nouveau nonce. Car, le nonce n’est pas un ambassadeur comme les autres. Il représente non seulement un Etat particulier, la Cité du Vatican, mais aussi un souverain un peu spécial, le Pape. Alors, si sa nomination suit les mêmes règles que celle des autres ambassadeurs, l’Eglise veille aux protocoles et détails garantis par le Droit canon, constitution de l’Eglise catholique et des conventions internationales.
Au cœur de la vie politique
Septembre 2017. Il y a trois jours que Joseph Kabila tente vainement de joindre l’ambassadeur du Vatican en République démocratique du Congo. Mais Mgr Luis Mariano Montemayor est introuvable, ou du moins, loin de ses bureaux. Le prélat italien était en visite dans le Kassaï. Et à son retour à Kinshasa, ce que craignait le chef de l’Etat est arrivé. Le Nonce s’en prend violemment au gouvernement et annonce la condition posée par le pape François pour se rendre en RDC. « La tenue de l’élection présidentielle« . Informé par une taupe, l’exécutif voulait que l’information reste secrète. Montemayor devient persona non grata, Kinshasa assurant ne pas pourvoir garantir sa sécurité. Il quittera discrètement le pays, après avoir dénoncé « un Etat prédateur de son peuple« . Mais le Pape qui se tient informé au jour le jour sur cet immense pays de l’Afrique centrale ne lâche pas. Il compte, pour ce faire, sur l’indéboulonnable conférence épiscopale nationale congolaise (Cenco) qui est un véritable Etat dans l’Etat. Elle mobilisera plus de 40.000 observateurs, un nombre jamais atteint nulle part dans aucune élection, pour la présidentielle du 30 décembre dernier. Mais Kabila prendra sa revanche. Pendant que l’Eglise avait des résultats, fiables, donnant Fayulu gagnant avec 62% des voix, il laissera le pouvoir, contre toute attente, à Félix Tshisekedi, dans le cadre d’un nébuleux accord.
Udaigwe Brian. A 55 ans, ce prélat nigérian est l’un des rares ambassadeurs avec qui, le président togolais échange régulièrement. Catholique présumé « fervent », Faure Gnassingbé dont des photos le montrant défraîchi et abasourdi lors d’un rosaire ce mois d’octobre en Europe ont buzzé sur les réseaux sociaux, est très attaché au Vatican. Sa mère, qui entretient de bonnes relations avec les nonces apostoliques successifs a été plusieurs fois reçue par le Pape. Le très zélé Michael Aughust Blume (nonce au Bénin-Togo de 2008-2013) a même poussé Benoît XVI à souhaiter à Sabine Mensah de spéciaux « Joyeux anniversaires » chaque année durant sa mission. Si le président togolais préfère son prédécesseur, il s’accommode bien que mal de Udaigwe. Introverti et prudent, ce nigérian est l’un des rares nonces africains. C’est dans la discrétion, à la demande de Faure Gnassingbé qu’il lui a obtenu une audience auprès du Vicaire du Christ, à l’insu même des évêques, pour parler d’un ancien archevêque de Lomé qui s’en prend régulièrement au régime, Mgr Kpodzro..
Très informés, ces représentants du Pape et du Vatican à travers le monde remontent au quotidien des milliers de subtiles et croustillantes informations que le Saint Père déguste chaque matin entre 10h et 11h30. Un délicieux exercice qu’adorait Jean Paul II qui voulait tout savoir sur le monde mais surtout Pie XII qui, pendant la seconde guerre mondiale était friand de détails de palais. Il savait, à quelques heures près avec qui avait couché tel chef d’Etat et suivait de près, grâce à ces enveloppes estampillées « Sub secreto », où Hitler passait ses nuits et ce qu’il mangeait.
Des ambassadeurs pas comme les autres
04 octobre 2019. Vendredi. Basilique Saint Pierre de Rome. Sans trop de bruit, le pape sacre trois évêques. Antoine Camilleri, Paolo Borgia et Paolo Rudelli. Ils sont tous, curieusement, italiens. A la même occasion ils seront élevés au rang d’archevêque, les trois seront dans quelques semaines ambassadeurs du Vatican en Ethiopie, en Côte d’Ivoire et Burkina Faso. Comme eux, une centaine de Nonces représentent l’Eglise et l’Etat du Saint-Siège dans le monde entier. Ils sont tous des hommes. Aucune femme. Et la raison est simple, avant d’être nommé, il faut déjà être prêtre. Pour leur permettre d’avoir autorité sur tous les évêques de leur pays de mission, ils deviennent de fait archevêques par leur nomination. On retrouve parfois, parmi eux, quelques rares cardinaux. Leurs missions, représenter le pape auprès des évêques et de l’église locale et le Vatican auprès des Etats. C’est grâce à eux que le pape s’informe au quotidien et est devenu, après le président américain, le chef d’Etat le plus informé du monde. Chaque matinée pendant un peu plus d’une heure, tombe sur son bureau des valises contenants des courriers et autres informations venant du monde entier. Un prêtre de campagne, un évêque, un espion mais surtout les nonces apostoliques. Entre déjeuners, sorties apostoliques, rencontres politiques, ils savent tout ce qui se passe et envoient des synthèses à la Secrétairerie qui se charge du tri pour le Vicaire du Christ qui ici, s’invite trop dans les affaires des hommes. Dans la pratique, Ils contribuent à la nomination des évêques en faisant des propositions documentées et remontent au Saint-Père toutes subtiles informations de terrains. Quelques fidèles catholiques, le plus souvent de l’Opus Deï ou de Sant’Egidio, dans les palais présidentiels, leur servent de relais. Une véritable machine à espionnage qui, compte tenu de la main d’œuvre de qualité disponible, ne coûte pas chère au Vatican dont le budget officiel ne passe pas, annuellement, les 300 millions d’euros. Même si le canon 364 de droit canonique de 1983 reste vague sur la mission, insistant sans précisions que » la charge principal du Légat pontifical est de rendre solides et efficaces les liens qui existent entre le Saint Siège et les églises particulières », dans la réalité, le nonce va largement au-delà. Il est d’ailleurs, conformément au Congrès de Vienne (1815) et la Convention de Vienne (1961), le doyen du corps diplomatique dans le pays de charge. Malheureusement, il a fallu attendre 1998 pour que Jean-Paul II fasse du premier prélat d’origine africaine, nonce apostolique.
Un cercle longtemps inaccessible pour les Africains
L’Afrique a pris du temps pour se tailler sa place qui grossit chaque jour un peu plus au sein de la diplomatie du Vatican. Il faut dire qu’aux portes de la très sélective Académie pontificale ecclésiastique qui, à Rome, forme les membres du corps diplomatique de l’Eglise, les Africains ne se bousculent guère. Augustine Kasujja aura été le premier nonce apostolique d’origine africaine. Depuis, cet Ougandais a connu une florissante carrière allant du Congo au Nigéria, de la Tunisie Luxembourg, avant d’atterrir, du haut de ses 73 printemps en Belgique. Le Nigeria est le pays le mieux représenté. Au-delà de Brian Udaigwe qui est en poste près le Bénin et le Togo, Mgr Jude Thaddeus Okolo tient la Nonciature en Irlande après notamment le Sri-Lanka et la République dominicaine. Fortunatus Nwachuku, longtemps protocole du Pape Benoît XVI domine le pacifique et les Antilles avec pas moins de 10 Etats de juridiction, après le Nicaragua en Amérique latine. Le très respecté Léon Badikebele Kalenga était quant à lui en poste en Argentine, pays du Pape, avant que la mort n’emporte violemment ce congolais en juin dernier. Depuis Mai 2019, Mgr Novatus Rugambwa est ambassadeur du saint Siège dans les archipels de Fiji et de Palaos. A 62 ans, ce tanzanien a beaucoup d’avenir dans les couloirs diplomatiques de l’Eglise. Et compte tenu du nombre plus grand d’Africains qui sont à l’école romaine de la diplomatie du Vatican, le continent a de l’avenir dans ce mystérieux tuyau de diplomates.
A la chute des Etats pontificaux à la fin du 19e siècle, c’est Mussolini qui signe, le 11 février 1929, avec Pietro Gasparri, Secrétaire d’Etat de Pie XI les accords de Latran faisant du Vatican un pays à part entière. Pour l’anecdote, Mussolini qui ne prenait pas ces accords au sérieux et voulait garder la possibilité d’organiser des révoltes et manifestations contre le pape en cas de désaccords avait proposé à Pie XI de lui concéder » quelques centaines de milliers de citoyens ». Mais Damiano Achille Ratti alias Pie Xi lui a répondu » j’ai déjà du mal à gérer cette folle Eglise, je ne peux pas gérer une grève ».
Source: Afrika Stratégies France/Mis en ligne: Lhi-Tshiess Makaya-exaucée