Viols en Afrique : le long combat contre l’impunité

Grâce à un projet de loi, le viol pourrait enfin être reconnu comme un crime au Sénégal. Une avancée dans la lignée de celle que connaît l’Afrique depuis quelques années.

Le viol, bientôt un crime au Sénégal ? Grâce au projet de loi commandé par Macky Sall, le pays s’y achemine. Lors du dernier conseil des ministres, mercredi 27 novembre, décision a en effet été prise de modifier la loi 65-60 du 21 juillet 1965 en durcissant « la répression du viol et de la pédophilie », avec « des sanctions pouvant aller jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité ». Dans la législation actuelle, le viol, à savoir un acte sexuel commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, n’est qu’un délit, passible de cinq à dix ans de prison. Le projet de loi a été préparé par le ministre de la Justice, après une demande du président sénégalais le 3 juin dernier.

Macky Sall avait alors réagi à la colère exprimée par la société civile à la suite de la mort de Bineta Camara, 23 ans, étranglée dans la maison familiale de Tambacounda le 18 mai par un agresseur qui a d’abord tenté de la violer. Son meurtre, qui a clos une longue série de viols et d’homicides, a été l’étincelle d’une contestation inédite dans le pays. En effet, pour 68 % des Sénégalaises, il est impossible de parler des violences qu’elles subissent, selon Ndèye Saly Diop Dieng, ministre sénégalaise de la Femme, de la Famille et du Genre. Pourtant, 706 femmes et jeunes filles ont été victimes de viol entre 2017 et 2018, selon le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (CLVF). Et, depuis le début de l’année 2019, 12 femmes ont été tuées dans le pays.

A LIRE AUSSI:   Reconstruire les économies pendant que des virus circulent

Les femmes victimes… et coupables

Le projet de loi sénégalais est donc « une grande avancée » pour Halimatou Camara, avocate au barreau de Guinée et très active dans la lutte contre les violences faites aux femmes. « Faire passer le viol du délit au crime, c’est une première étape pour faire reconnaître sa gravité, et stopper sa banalisation », explique-t-elle. Et la tâche est ardue. Car l’impunité protège souvent les auteurs de viols et d’agressions sexuelles. « Même lorsque le viol est considéré comme un crime, l’effectivité des peines pose problème. En Guinée, il y a des situations ubuesques ! Il y a une affaire qui m’a particulièrement choquée. Un auteur de viol sur mineur, originaire d’une ville du centre du pays, a été reconnu coupable de son crime…mais n’a écopé que de quatre mois de prison. Comment voulez-vous ensuite que les gens perçoivent la gravité d’un tel acte ? » raconte l’avocate.

Autre situation à laquelle elle est souvent confrontée : la culpabilisation de la victime. « Dans ce genre d’affaires, le poids de la société est très lourd. Au lieu de condamner l’auteur des faits, on accuse la victime de ne pas s’habiller comme il faut, d’avoir mal agi. En d’autres termes, d’avoir tout fait pour provoquer le crime », explique Halimatou Camara.

Des raisons d’espérer

Au Sénégal, en Guinée ou ailleurs sur le continent, les Africaines sont très vulnérables aux violences sexuelles. D’après le dernier rapport de l’ONU sur le sujet, « The World’s Women 2015 : Trends and Statistics », publié tous les cinq ans, ce sont elles qui, par rapport au reste du monde, paient le plus lourd tribut. Plus de 37 % des femmes – soit plus d’une Africaine sur trois – auraient en effet subi des agressions sexuelles au cours de leur vie. Le taux de viols par habitant y est aussi plus élevé que n’importe où ailleurs. Mais la prise de conscience qui a percé au sein de la société civile il y a quelques années redonne espoir. « Aujourd’hui, on constate une nette libération de la parole, notamment via les réseaux sociaux, affirme Halimatou Camara. Les jeunes femmes de la nouvelle génération sont conscientes du rôle qu’elles peuvent jouer dans la société, de la place qu’elles doivent prendre. Grâce aux militantes, aux associations de plus en plus visibles, les choses bougent. »

A LIRE AUSSI:   AFRIQUE : En attendant Pau, Macron, les antifrançais, nos dirigeants et nos panafricanistes

Une dynamique remarquée et désormais prise en compte par les autorités. Un rapport de la Fédération internationale pour lesdDroits humains (Fidh) intitulé « Les impacts de l’action contentieuse dans la lutte contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique », et publié le 22 novembre, explique que, « ces quinze dernières années, les pays africains se sont dotés de cadres et d’outils novateurs pour lutter contre les violences sexuelles et les violences faites aux femmes ». Exemple, l’adoption du protocole de Maputo, un accord international qui garantit, entre autres, aux femmes l’égalité sociale et politique avec les hommes. Ou encore l’abolition de la prescription pour l’ensemble des infractions de violences sexuelles, adoptée en Afrique du Sud en 2017, qui garantit donc l’accès des victimes à la justice tout au long de leur vie.

Mais l’illustration la plus pertinente d’une prise de conscience nationale est constituée des sentences prononcées pour les auteurs de viols. Dernière en date, la condamnation à perpétuité du Sud-Africain Luyanda Botha, auteur du viol et du meurtre d’Uyinene Mrwetyana dans un bureau de poste du Cap, qui avait suscité une vague d’indignation, relayée dans la rue et sur les réseaux sociaux. La peine très lourde prononcée à l’encontre de son assassin a été qualifiée « d’exemplaire » par le président Cyril Ramaphosa lui-même. Souvent, c’est la contestation civile, fruit d’une colère latente depuis des années, qui pousse les autorités à agir. Et, en Afrique, la dynamique est lancée.

Source: Le Point Afrique/Mis en ligne: Lhi-tshiess Makaya-exaucée

Tribune d'Afrique

Read Previous

Réchauffement spectaculaire des relations entre les Etats-Unis et le Soudan

Read Next

Nouvelle arrestation d’un militant des droits de l’Homme au Tchad